Depuis peu, l’agriculture roumaine montre quelques signes de modernisation, tels que l’apparition, çà et là, de serres équipées de systèmes d’irrigation modernes. Des initiatives individuelles qui sont parfois le fruit d’une expérience en Europe de l’Ouest, ou de fonds européens enfin obtenus. Mais elles restent des exceptions. Serban Damboviceanu, 36 ans, ancien directeur commercial chez Leclerc, est revenu en Roumanie pour refonder le vignoble de Corcova – Mehedinţi. La viticulture est un secteur agricole particulier, mais son entreprise est un parfait exemple d’une exploitation florissante basée sur la qualité du terroir roumain.
« Au départ, le monde agricole ne m’était pas familier. Mais à la faculté de droit de Strasbourg où j’ai étudié, une des choses essentielles qui m’a été enseignée est la capacité d’apprendre à apprendre. Ayant une spécialisation dans la gestion et l’administration des entreprises, je n’ai pas eu peur de me lancer dans un domaine inconnu. Surtout, j’ai été animé par la passion pour mon produit », confie-t-il.
Après une expérience professionnelle réussie dans la grande distribution, Serban avait toutes les clés en main pour gravir les échelons. Il a acquis un capital financier et une grande expérience commerciale, mais il a aussi appris le marketing, la logistique, l’informatique de gestion et l’organisation de production. Avec son associé français, également très attaché à la Roumanie et passionné de vin, ils se sont donc décidés à lancer ce projet d’investissement dans le domaine viticole. Tous deux avaient confiance dans le potentiel du terroir roumain et ils ont choisi Corcova comme une évidence. « A Corcova, nous avons été séduits par la beauté du paysage parmi les vieux vignobles du prince Bibescu. Ensuite, l’historique, ainsi que nos analyses, laissaien entrevoir un terroir exceptionnel », dit-il. Aujourd’hui, toutes les technologies appliquées, tant dans leurs vignes que dans leur chais, sont d’origine française. Ils ont également importé leurs pieds de vignes d’Alsace, du Bordelais et d’Autriche.
Selon Serban, la moindre expérience du travail dans d’autres pays serait bénéfique à l’agriculture roumaine, mais pour que des ouvriers agricoles puissent lancer leur propre affaire, il faudrait qu’ils arrivent à dépasser l’obstacle du financement, malheureusement souvent insurmontable. « Nous-mêmes préférons les ouvriers qui ont eu une expérience de travail à l’étranger, car ils y acquièrent des compétences, ils comprennent mieux l’organisation du travail, comprennent la pression du temps, etc. Mais pour qu’ils puissent créer leurs propres exploitations agricoles et y appliquer les connaissances qu’ils ont acquises à l’étranger, le chemin est long et compliqué. Il y a d’abord le besoin d’un capital de départ, et le plus souvent les projets s’arrêtent là. On peut penser que les fonds européens pour l’agriculture sont une solution, mais pour obtenir des fonds, il faut avoir un capital de départ de toute façon. Et les banques sont très réticentes aujourd’hui à financer l’apport propre de l’exploitant agricole. De plus, les banques ne sont pas du tout familiarisées avec le secteur agricole et n’y accordent pas d’attention, à tort à mon avis », observe-t-il, avant d’évoquer les points forts et les points faibles de l’agriculture et de la viticulture en Roumanie : « Les terres roumaines sont fertiles, soumises à un bon climat et l’eau est très présente. Par contre, la propriété est mal divisée. Il y a un manque de clarté dû aux nationalisations et aux rétrocessions. Quant au secteur viticole, le potentiel des terroirs est très grand. Les difficultés peuvent cependant venir du manque de spécialistes ou des financements coûteux », conclut-il.
Selon Ionel Văduva, journaliste du site spécialisé dans le domaine agricole Recolta. eu, les initiatives de modernisation de l’agriculture par des travailleurs roumains revenus de l’ouest restent cependant marginales : « Beaucoup de Roumains se rendent en Espagne pour les récoltes, notamment de fraises. A leur retour en Roumanie, la plupart reprennent leur activité d’avant, qui n’a souvent rien à voir avec l’agriculture. Si certains tentent de développer une petite exploitation, on ne peut pas pour autant parler d’un phénomène de masse qui influencerait en quoi que ce soit l’agriculture roumaine, car il s’agit de cas isolés », soutient-il. Pour ces cueilleurs saisonniers, l’Espagne et l’Italie sont depuis des années des destinations très en vogue, c’est bien connu. Et ils ont tous pour ambition d’y amasser un petit pactole, car ils se disent qu’ils seront mieux payés à l’heure là-bas qu’en Roumanie. Toutefois, Ionel explique qu’une fois sur place, nombreux sont ceux qui déchantent. Il est donc rare qu’à leur retour, ils investissent leur pécule pour optimiser un lopin de terre et se lancer dans les affaires. Mais cela arrive, et il y a un commencement à tout.
François Gaillard (octobre 2012).