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Entretien réalisé le samedi 20 septembre en début d’après-midi, par téléphone et en roumain.


Après un premier échange sur l’institution du mariage et les relations amoureuses, Diana Vasiliu, psychologue, approfondit son analyse sur les conséquences de l’univers numérique dans nos rapports affectifs…

Lors de notre premier entretien, en octobre 2021, vous indiquiez que « l’expérience relationnelle virtuelle risque d’annihiler le courage nécessaire pour sortir de notre bulle afin d’assumer de nouvelles expériences ». Quatre ans plus tard, votre position se confirme-t-elle ? Ou percevez-vous une sorte de retournement de situation, une nouvelle envie de « vivre vrai » ?

Selon moi, nous ne sommes pas davantage en lien avec la vie réelle dans nos rapports avec l’autre, bien au contraire. Et je ne pense pas qu’un retournement de situation, comme vous le mentionnez, soit désormais possible. Peut-être seulement pour ceux d’entre nous qui souhaitent se détacher des réseaux sociaux, comme l’on essaie d’échapper à une addiction. Il existe déjà une hybridation de la vie professionnelle, entre le présentiel et le travail à distance, et nous assistons également depuis un certain temps à une hybridation des relations humaines. Les relations de couple se réinventent, et je crois que dans quelques années, ces relations dites atypiques deviendront la norme. Cependant, le problème de ces relations atypiques, hybrides, où le virtuel grappille le temps du réel, du face-à-face, et qui maintiennent donc une distance entre deux individus, est qu’elles laissent un vide. Or, chacun d’entre nous, lorsqu’il se trouve face à un vide, commence à se projeter. Et que projette-t-il ? Toutes sortes de souvenirs, d’événements non résolus du passé, des modes d’action transmis par les parents, les grands-parents, etc. Une phrase écrite à distance par mon partenaire ou mon ami suscitera en moi une réaction éventuellement exagérée ou erronée, je vais commencer à imaginer des scénarios. Si j’avais eu cette personne devant les yeux, il est fort possible que ces choses imaginées aient été neutralisées par d’autres éléments d’une communication dans le réel, le ton de la voix, les gestes, et bien d’autres aspects non verbaux.

En d’autres mots, le fait d’être continuellement en possession de nos smartphones porte préjudice aux relations amoureuses…

En partie, oui. Surtout, il est selon moi essentiel de se pencher sur les conséquences du rythme hallucinant auquel progressent aujourd’hui les technologies. Notre inconscient fonctionne encore selon des lois primitives, et face aux bouleversements actuels, on va vers l’inconnu, nous ne savons pas ce qu’il adviendra de nous et de nos relations. Jamais dans notre histoire nous n’avons connu un tel degré d’accès à l’autre, tout le temps. C’est comme si des milliards de cordons partaient de nous vers tous les utilisateurs avec lesquels nous sommes en contact. Or, la seule période de notre vie où nous avons un tel accès illimité à un autre être est la période intra-utérine, lorsque nous étions connectés en permanence à notre mère. On peut donc parler d’une sorte de régression qui nous pousse vers des niveaux de fonctionnement extrêmement primitifs. D’une certaine manière, cette hyper connexion permanente produit chez nous les mêmes attentes que lorsque notre mère était là pour répondre rapidement à tous nos besoins. C’est pourquoi, dans les relations actuelles, les gens ne sont plus patients, ils veulent tout recevoir de l’autre, ici, maintenant, instantanément.

L’amour long et patient, la construction de toute une vie à deux en se serrant les coudes malgré les difficultés ne semble plus faire recette. L’univers numérique accentue cette tendance. Tout comme on fait de l’éducation aux médias face aux dérives des réseaux sociaux, faudrait-il mettre en place une nouvelle éducation à l’amour ?

Ce ne serait pas une mauvaise idée. Les modèles traditionnels sont de plus en plus difficiles à maintenir. Et pas seulement parce que nous vivons à l’ère du numérique, mais aussi parce que l’espérance de vie a augmenté et qu’il est donc possible d’avoir plusieurs relations au cours d’une seule vie. À mon sens, il faudrait commencer par accroître notre maturité psychique afin de mieux tolérer l’absence et la présence de l’autre, mais aussi déterminer le degré d’intimité que nous souhaitons et pouvons maintenir. Lorsque nous envoyons un message à quelqu’un et que nous voyons qu’il l’a lu mais qu’il ne répond pas, soit nous arrivons à nous convaincre d’une explication rationnelle du type « il est occupé, il répondra plus tard », soit nous pouvons nous retrouver dans une situation paranoïaque, en souffrance. C’est sur cela que nous devons travailler, sur nous-mêmes. La bonne nouvelle est que d’après ce que j’observe dans mon cabinet, la nouvelle génération, ces natifs du numérique que l’on a tendance à critiquer, s’en sort beaucoup mieux qu’on ne le pense. Ils sont nés avec des anticorps qui les protègent des dangers d’Internet, de façon générale. Ils ont développé des mécanismes de défense et communiquent très bien entre eux au sein de cette sorte d’extension numérique dont les plus âgés ne comprennent pas toutes les modalités.

Propos recueillis par Ioana Stăncescu (20/09/25).

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