Entretien réalisé le vendredi 22 août dans la matinée (actualisé depuis), par téléphone et en roumain.
Des élections législatives auront lieu demain en république de Moldavie. Un scrutin tendu où se confrontent les camps pro-européen et pro-russe. Regard fait le point sur cette échéance décisive pour l’avenir proche du pays avec Armand Goșu, docteur en histoire politique, spécialiste de la Russie et de l’ancienne URSS…
Quels sont les enjeux de ces élections ?
Ces quatre dernières années, le parti PAS, parti « Action et Solidarité », de la présidente Maia Sandu (réélue en novembre 2024, ndlr) a bénéficié de la majorité des 101 sièges au Parlement. Cette fois, il est possible que le PAS n’obtienne pas la majorité absolue*. Il a déçu beaucoup de citoyens moldaves. En 2021, son message était en effet différent, moins centré sur la géopolitique mais plutôt sur la politique interne, la lutte contre la corruption, la mise en place de réformes, etc. Sauf que la guerre en Ukraine est arrivée, et la géopolitique a pris le dessus. Les déçus critiquent le PAS car ils n’ont pas vu d’améliorations dans la lutte contre la corruption et la réforme de la justice. Ces électeurs vont probablement se tourner vers d’autres formations. Deux partis se qualifiant de « pro-européens » – ce dont on peut douter (voir ce reportage d’Hotnews diffusé en début de semaine, ndlr) – pourraient ainsi entrer au Parlement : le bloc « Alternative » de Ion Ceban, maire de Chișinău, et « Notre Parti » de Renato Usatîi – candidat déchu à la présidentielle de l’an dernier, ndlr. Ion Ceban, très critiqué par le PAS, a été interdit d’entrée en Roumanie en juillet dernier pour des raisons encore floues. Ceci étant, de mon point de vue, Ion Ceban reste moins problématique que Renato Usatîi, dont les relations avec le crime organisé et la Russie sont ambiguës. Le PAS devra peut-être former une coalition avec l’un de ces deux partis, mais rien n’est clair pour le moment.
* Selon des sondages récents (de fin août à mi-septembre), le parti PAS obtiendrait environ 30 à 35 % des votes, suivi du Bloc électoral patriotique pro-russe qui récolterait entre 13 % et 30 % des voix. La fiabilité de ces sondages est toutefois contestée ; certains sont commandés par les partis eux-mêmes, et ils n’incluent pas la diaspora, ni les électeurs de la région séparatiste de Transnistrie. Or, la diaspora, qui peut représenter jusqu’à 20 % des votants dans ce scrutin proportionnel, est généralement favorable au PAS. De plus, de nombreux électeurs restent indécis.
Comment la Russie interfère dans les élections moldaves ?
Elle intervient notamment à travers le réseau d’Ilan Șor, oligarque en exil à Moscou, condamné à quinze ans de prison pour le dénommé « vol du siècle » d’un milliard de dollars à trois banques moldaves entre 2012 et 2014. Ilan Șor a commencé à créer ce réseau grâce à ses magasins bon marché où il a pu récolter les contacts et données de nombreuses personnes en situation vulnérable. Il exploite ainsi la pauvreté. Ces individus dans le désarroi ne sont pas nécessairement pro-russes, mais leur condition les affaiblit, ils sont plus facilement influençables. Ils ont notamment été contactés pour soutenir la formation politique de l’oligarque, le bloc « Victorie-Pobeda »*. Ce parti n’a toutefois pas été autorisé à participer aux élections. L’autre formation clairement pro-russe est le « Bloc électoral patriotique » (BEP) des socialistes, avec Igor Dodon, l’ancien président, en tête de liste. Dodon et Șor ne s’apprécient pas, mais cela ne les empêche pas d’avoir le même message anti-occident, anti-LGBT, etc. Je pense que beaucoup d’électeurs de « Victorie-Pobeda » se tourneront vers le BEP.
* Plusieurs enquêtes journalistiques et de la police moldave ont démontré des achats massifs de votes et une campagne de désinformation en ligne pour la présidentielle de 2024 et les législatives à venir. Des actions principalement orchestrées par Ilan Șor. Le 22 septembre, la police a annoncé l’arrestation de 74 personnes armées, en lien avec le réseau de l’oligarque. Elles sont soupçonnées d’avoir voulu provoquer des déstabilisations avant les élections (ndlr).
Selon vous, quel est le but véritable de la Russie ?
Le Kremlin ne veut pas forcément qu’il y ait un gouvernement pro-russe en Moldavie. Il souhaite surtout empêcher le PAS d’obtenir la majorité. Le but est de créer du chaos. La Russie ne cherche pas tant à conquérir la Moldavie, mais à la fragiliser afin de créer un foyer de déstabilisation au sud-ouest de l’Ukraine. Chișinău, la capitale moldave, n’est qu’à 200 kilomètres d’Odessa.
Propos recueillis par Marine Leduc (22/08/25).
Notes :
Lien vers l’émission « Moldova zoom » de Lina Grâun (RFI România) sur les dernières informations concernant la république de Moldavie et les élections de demain (en roumain) : https://www.rfi.fr/ro/podcasturi/moldova-zoom/
Lien vers notre précédent entretien avec Armand Goșu sur le risque d’une attaque russe contre un pays de l’Otan (« Regard, la lettre » du samedi 5 avril 2025) : https://regard.ro/armand-gosu-2/