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Entretien réalisé le mardi 1er avril en milieu de journée, par téléphone et en roumain.


Docteur en histoire politique et spécialiste de la Russie et de l’ancienne URSS, Armand Goșu se penche sur la question des dépenses en armement de l’Europe et le danger d’une attaque russe contre un pays de l’Otan…

Le fait d’avoir sur le continent européen deux puissances nucléaires en la France et le Royaume-Uni ainsi qu’une interopérabilité au sein de l’Otan ne constituent-ils pas des atouts suffisants pour vaincre rapidement la Russie en cas de conflit ?

Pas vraiment. Depuis la fin de la guerre froide, l’Europe n’a pas investi dans la modernisation de ses armements et dans les nouvelles technologies militaires, et elle ne dispose pas d’armées opérationnelles, à l’exception de la France. Aucune des grandes puissances européennes ayant disposé par le passé d’empires et d’une solide tradition militaire ne dispose aujourd’hui d’un armement et de troupes réellement bien préparées, prêtes à intervenir. Quant à l’interopérabilité des armées européennes, celle-ci a été jusqu’à présent assurée par les Américains. Or, avec leur retrait probable du continent, il va falloir reconstruire cette interopérabilité. Conclusion, s’imaginer que les choses seraient faciles voire que, dans le cas d’un conflit, les Européens seraient favorisés puisque se battant pour la paix est un leurre.

Selon vous, la Russie pourrait-elle attaquer un pays de l’Otan ?

Le risque est très élevé, plus élevé que jamais. Beaucoup plus élevé que pendant la guerre froide. N’oubliez pas qu’à l’époque, le contexte était très différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. En premier lieu, les États européens savaient qu’ils pouvaient compter sur les Américains. Ce sont d’ailleurs bien eux qui, par leurs déclarations, leurs exercices militaires et le transfert d’hommes et d’armements vers l’Europe, ont envoyé à l’Union soviétique le signal clair qu’ils interviendraient. Or, cette fois-ci, Washington met en avant que les États-Unis n’interviendraient plus, ce qui pourrait pousser la Russie à tester notre défense collective. Et il devient de plus en plus évident que celle-ci ne sera probablement pas activée ; elle ne le sera qu’au niveau déclaratif, tout au plus, vu le contexte que j’ai mentionné plus haut. Certes, l’article 5 du Traité de l’Otan pourrait bien fonctionner, mais dans le cadre de petites alliances à géométrie variable*. Prenez le cas où l’Estonie serait attaquée… La Finlande, la Norvège, la Suède, les autres États baltes et la Pologne pourraient alors lui venir en aide. Au mieux, l’Allemagne contribuerait aussi d’une manière ou d’une autre, tandis que les Français fourniraient leur protection nucléaire. Mais au-delà, il est difficilement imaginable que des pays comme la Grèce, la Bulgarie ou la Roumanie envoient des troupes en Estonie pour la défendre. Pour schématiser, l’Otan est un peu devenu comme une société anonyme avec des actionnaires ; chacun connaît le nombre d’actions qu’il possède, et ses intérêts.

* L’article 5 stipule que si un pays de l’Otan est victime d’une attaque armée, chaque membre de l’Alliance considérera cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble des membres et prendra les mesures qu’il jugera nécessaires pour venir en aide au pays attaqué. Source : nato.int

Mais ces dépenses militaires mettent aussi en péril les équilibres budgétaires fragiles des pays de l’UE…

Ce ne sont pas les dépenses militaires actuelles ou à venir qui déséquilibrent les budgets européens. À mon sens, l’Europe devrait être beaucoup plus pragmatique en termes de politiques sociales, bien qu’il y ait des différences importantes entre les pays. Certes, ces politiques lui ont assuré une prospérité inégalée dans le monde. Aux États-Unis, vous devez payer pour l’éducation et la santé. En Europe, c’est gratuit, plus ou moins. Je ne dis pas qu’il faille réformer le système d’aides sociales dans son intégralité. Mais face à une situation de risque élevé pour la sécurité même de l’Europe, il faut savoir repenser ses priorités.

Propos recueillis par Carmen Constantin (01/04/25).

Note :

En complément, voir ce reportage d’Arte « L’Europe peut-elle se défendre elle-même ? » (France/2025) – 10 minutes : https://www.arte.tv/fr/videos/121620-052-A/l-europe-peut-elle-se-defendre-elle-meme/

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