Entretien réalisé le mercredi 5 juin dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Eugenia Gusilov, directrice du Romania Energy Center, s’exprime à nouveau sur l’exploitation du gaz en mer Noire, ainsi que sur le rôle des énergies renouvelables et du nucléaire dans le mix énergétique roumain…
Dans un entretien au printemps dernier, Dumitru Chisăliță, ancien président du groupe de réflexion Asociația Energia Inteligentă, indiquait que « si l’extraction du gaz de la mer Noire commence en 2027 comme prévu, la production onshore et offshore pourra satisfaire sans problème les besoins actuels de l’économie et des particuliers pendant une dizaine d’années ». Comment ce projet d’exploitation depuis le littoral roumain évolue-t-il ?
La décision de lancer l’exploitation du gaz en mer Noire a été prise en juin 2023, ce qui a permis de mettre officiellement le projet sur les rails. Les entreprises impliquées, notamment OMV Petrom et Romgaz, qui exploitent le gisement Neptune Deep, ont estimé un délai d’environ quatre ans avant d’extraire la première molécule de gaz commercialisable, ce que l’on appelle le « first gas ». Cela nous amène effectivement à 2027. Tous les contrats nécessaires à cette phase préparatoire, forage, pose des conduites sous-marines, construction des plateformes, transport du gaz jusqu’à la côte, ont déjà été signés l’an dernier. Il faut souligner que ce projet représente une première historique pour la Roumanie ; c’est la première fois que le pays se lance dans une exploitation gazière offshore à grande profondeur. C’est donc un jalon majeur dans l’évolution de notre production énergétique. Certes, la production n’a pas encore commencé, mais tous les éléments logistiques et techniques sont désormais en place pour respecter les délais annoncés. Quant aux perspectives, les estimations actuelles tablent sur une durée d’exploitation de huit à dix ans, mais cela pourra être affiné à mesure que nous en apprendrons davantage sur la dynamique du réservoir.
Restons dans les projections, sur les dix prochaines années, quelle énergie renouvelable prendra une part toujours plus importante au sein du mix énergétique roumain ?
Dans la prochaine décennie, l’énergie solaire et l’éolien terrestre joueront un rôle croissant dans le mix énergétique roumain. Après une stagnation de plusieurs années, la dynamique a repris en 2023, avec plus de 1500 MW – mégawatts, ndlr – installés, suivis de 1200 MW en 2024, et environ 2500 MW prévus pour 2025. Cette reprise est soutenue par l’introduction des « contrats pour la différence », un mécanisme qui stimule les investissements. Deux appels d’offres ont déjà eu lieu : l’un en 2024, avec 1500 MW attribués, l’autre en 2025 visant 3472 MW, dont 2000 MW d’éolien terrestre et 1472 MW de solaire. À l’horizon 2030, l’objectif est d’ajouter 7 GW – gigawatts, ndlr – de capacités renouvelables, et 3 GW d’éolien offshore d’ici 2035, selon une feuille de route adoptée en 2024. Le cadre est désormais posé, même si l’offshore reste à développer. Ma seule réserve concerne notre capacité administrative à suivre le rythme. Les projets sont là, les financements aussi, il faut désormais les concrétiser dans les délais qui nous sont impartis.
Certains experts affirment que les énergies renouvelables sont loin d’être écologiques, que ce soit en termes de production ou de recyclage, et qu’il y a aussi le problème de la pollution visuelle concernant l’éolien ou le photovoltaïque. Est-ce tout simplement un moindre mal ? Et quel est votre avis sur le nucléaire ?
Ces critiques me semblent injustifiées. Aucune source d’énergie n’est totalement propre si l’on considère l’ensemble du cycle de vie, y compris la gestion des déchets. Même les renouvelables, éolien, solaire, génèrent des déchets en fin de vie. Mais cela ne remet pas en cause leur utilité. Il nous faut un mix équilibré : renouvelables, nucléaire, gaz, stockage. Rejeter les énergies renouvelables sous prétexte qu’elles ne sont pas parfaites serait dangereux. L’option la plus propre serait de ne plus consommer d’énergie du tout, ce qui est irréaliste de nos jours. Puisque nous avons besoin d’électricité, de chauffage, de mobilité, il faut avancer vers des solutions moins polluantes, dont les renouvelables et le nucléaire font partie intégrante. Le nucléaire conserve quant à lui une place clé, avec 20 % de la production actuelle, il est donc essentiel. La Roumanie prévoit deux nouveaux réacteurs à Cernavodă et un projet de petit réacteur modulaire (Small Modular Reactor – SMR, ndlr) à Doicești, ce qui ferait du pays un pionnier européen en la matière.
Propos recueillis par Charlotte Fromenteaud (05/06/25).