Entretien réalisé le mardi 9 septembre en milieu de journée, par téléphone et en roumain (depuis Oradea).
Début septembre, une grève nationale a perturbé la rentrée scolaire. Nouveau focus sur le système éducatif roumain avec Mihai Maci, philosophe et enseignant-chercheur à l’université d’Oradea…
Quel est l’objectif de l’augmentation des heures de cours pour les enseignants ? Réduire les leçons particulières ?
La mesure a pour but principal de faire des économies. En rajoutant des heures obligatoires, le gouvernement s’attaque notamment à la pratique tacite des heures supplémentaires que se partagent les professeurs, et qui leur permettent de compenser un peu leur faible salaire. L’exécutif a voulu mettre de l’ordre dans tout ça, ce qui n’a évidemment pas plu. Quant aux cours particuliers, ils relèvent d’une autre problématique : notre enseignement est beaucoup trop formel. Sa finalité n’est pas que l’élève comprenne, mais qu’il reproduise le cours à l’identique. Comme sous Ceauşescu quand, pour l’examen d’entrée en médecine, il fallait reproduire à la virgule près un manuel de 150 pages. Au passage, d’après moi, c’est de là que vient le phénomène du plagiat. Et que les notes sont souvent très élevées, dignes d’un concours de gymnastique. Ce système est entretenu par beaucoup d’enseignants qui dispensent des cours particuliers à leurs propres élèves. On peut dire qu’il s’agit là d’une dégradation consentie de notre enseignement à des fins financières*.
* Selon une étude de l’organisation Salvați Copiii, 48% des parents roumains disent payer des cours particuliers à leur enfant (ndlr).
Ceci étant, l’idée selon laquelle un système éducatif doit d’abord former des citoyens équilibrés plutôt que performants fait-elle son chemin ?
Non, malheureusement. Je vous rappelle qu’à la fin 19ème siècle, 80% de la société roumaine était analphabète. La situation s’est améliorée grâce en particulier aux réformes menées par Spiru Haret au début du 20ème, puis à ce qui a été réalisé pendant la période communisme. Mais à partir des années 1980, la dégradation de l’enseignement commence. Dès lors, qui veut bien instruire son enfant doit y parvenir par ses propres moyens, en y mettant le prix via des cours particuliers ou en l’envoyant à l’étranger. L’État n’a jamais combattu ces pratiques, démontrant au passage qu’il n’assume pas sa mission éducative. Il considère que chaque génération comprend une élite, environ 5% des élèves, et que cela suffit pour renouveler ses cadres dans les champs politique, administratif et économique. On peut dire que la situation est comparable à ce qu’il s’est passé en Corée du nord.
Les smartphones sont dorénavant interdits dans les écoles primaires et les collèges français*. Le ministère roumain de l’Éducation envisage-t-il de faire de même ?
Absolument pas. De façon générale, tout ce qui touche au problème de l’attention des élèves roumains verse dans la nostalgie communiste, au temps où la jeunesse était au garde-à-vous ; la « vraie école », selon certains. Pour faire un parallèle, n’oubliez pas que dans notre pays, l’enseignement s’est constitué du haut vers le bas, de manière quasi militaire. Rien à voir avec la France où les paroisses, au niveau local en particulier, ont joué un rôle important. L’usage du téléphone est aujourd’hui stigmatisé uniquement pour signifier que nos jeunes ne veulent plus rien apprendre, sans que personne n’y voit un lien avec l’absurdité de certaines matières enseignées ou les lourdeurs administratives. Prenez les manuels, au collège ils ont été modifiés pour la troisième fois en cinq ans, alors que ceux du lycée n’ont pas changé depuis quinze ans, allez comprendre pourquoi. Même chose quant à l’intégration de la technologie dans l’enseignement. Il est d’ailleurs frappant de constater que seulement 9% des enseignants du cursus pré-universitaire ont moins de 30 ans. Cela explique aussi pourquoi notre enseignement est à la traîne. Je doute que beaucoup de professeurs de plus de 50 ans aient conscience que des problèmes peuvent être désormais résolus en quelques secondes via ChatGPT. Sans doute qu’un changement s’opérera lorsque Bruxelles nous le demandera. Avant, j’en doute.
Propos recueillis par Benjamin Ribout (09/09/25).