Entretien réalisé le vendredi 3 octobre dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Iulian Stănescu, sociologue à l’Institut de recherche sur la qualité de vie (ICCV), analyse le marché du travail en Roumanie, entre vieillissement de la population, accès difficile des jeunes à l’emploi, et en plein débat sur un système de retraite déficitaire…
La Roumanie devrait-elle repousser l’âge de départ à la retraite ? Et quel est le ratio actifs/retraités en comparaison avec le reste de l’Union européenne ?
Votre question comporte plusieurs aspects essentiels. Une retraite est une forme d’assurance sociale dont on est en droit de bénéficier dans la mesure où l’on y a cotisé, et au moment où l’on perd la capacité physique de travailler. Or, l’âge où l’on perd cette capacité diffère beaucoup dans le temps et suivant l’endroit où l’on se situe. Si l’on compare la Roumanie des années 1950 ou même 1990 à celle de 2025, on constate que cet âge est très différent, car aujourd’hui le travail est beaucoup moins physique, tandis que le système de santé s’est amélioré. Par ailleurs, on s’attend à des différences si l’on compare l’état de santé et la capacité de travail d’un Roumain à ceux d’un ressortissant d’un pays occidental. Un autre facteur essentiel est, comme vous l’avez mentionné, le rapport de dépendance entre retraités et actifs. On a beau se cacher derrière les mots, la retraite est un transfert économique d’une génération active à une autre, inactive. Cela veut dire que l’âge de départ à la retraite dépend fortement du volume des générations actives qui peuvent soutenir les personnes inactives. Le problème est qu’aujourd’hui, nous assistons à un effondrement de la natalité et de la fertilité. La Roumanie sera confrontée à une situation particulièrement compliquée à l’horizon 2028-2031, lorsque les très grandes cohortes d’enfants nés entre 1967 et 1971 atteindront l’âge de la retraite. En 1967, suite à l’interdiction de l’IVG (Interruption volontaire de grossesse, ndlr) par le régime communiste, le pays a enregistré près d’un demi-million de naissances, contre 150 000 à peine l’année dernière. Ceci étant, pour ce qui est du ratio retraités/actifs, la Roumanie ne se porte pas si mal si on la compare à d’autres pays européens, bien que la situation se dégrade comme je vous le disais. Le rapport de dépendance entre les personnes âgées de plus de 65 ans et celles âgées de 15 à 64 ans est de 31,2 en Roumanie – soit 31,2 individus de plus de 65 ans pour 68,8 entre 15 et 64 ans, ndlr –, contre 34,3 de moyenne au sein de l’UE, 38,2 en Bulgarie, ou encore 38,4 en Italie. D’après les chiffres officiels, qui différent toutefois selon les sources, la Roumanie compte actuellement environ 6,7 millions de salariés pour près de 5 millions de retraités.
Au sein de l’Union européenne, la Roumanie est néanmoins en tête en ce qui concerne le chômage parmi les jeunes. Comment s’explique ce phénomène ?
Le fort taux de chômage parmi les jeunes touche l’Europe dans son ensemble, avec des nuances. Les jeunes Européens restent longtemps dans une zone de travail précaire, avec des contrats à durée déterminée, des contrats à temps partiel, ou sont impliqués dans l’économie informelle. En Roumanie, les jeunes ayant terminé le lycée ou une faculté ont droit à une allocation chômage pendant six mois. Une fois cette période terminée, il est possible qu’ils n’apparaissent plus dans les statistiques. Parfois, ces jeunes se dirigent vers l’économie informelle, travaillent sans contrat dans le bâtiment, la restauration, ou encore pratiquent des activités illicites. Il y a ensuite ceux qui travaillent quelques mois par an à l’étranger avant de revenir en Roumanie, une forme de migration qui ne figure pas non plus dans les statistiques.
Une autre question qui fait débat est l’importation de main-d’œuvre…
En effet, les opinions divergent. Le patronat dit que recruter à l’étranger est devenu indispensable, tandis que les syndicats affirment le contraire. Ces dix dernières années, la prospérité des Roumains dans les zones urbaines a augmenté ; ils partent en vacances, vont au restaurant ou se font livrer, ce qui requiert davantage d’employés dans ces domaines. Peu enclins à la tâche en Roumanie, ce type de travailleurs est recruté à l’étranger. Mais les autorités ne vérifient pas suffisamment les entreprises utilisant cette main-d’œuvre ; nombre de ces personnes travaillent six jours par semaine, au lieu des cinq jours stipulés dans leur contrat, et pour des salaires plus bas. Ce qui outrepasse la législation. Ces vingt-cinq dernières années, les politiques macroéconomiques ont conduit à un exode important des Roumains, puis à une importation massive de main-d’œuvre. Or, si ce modèle d’emplois peu qualifiés et faiblement rémunérés se perpétue, le développement social et économique ainsi que les conditions de vie de la population en pâtiront*.
Propos recueillis par Mihaela Rodina (03/10/25).
* Une perspective qui pourrait également toucher l’Espagne, comme l’indique The Financial Times dans un article daté du 28 septembre : « Although Spain’s real GDP, on a purchasing power parity basis, has risen by about 6.8 per cent since 2019, in per capita terms it has grown by just 3.1 per cent. Migrants have mainly filled gaps in lower value-added sectors, including hospitality and construction. To ensure living standards also grow, Spain’s languid productivity growth needs to improve too. […] Most Spanish people support immigration. But if the government fails to give adequate support for access to affordable housing and public services, the openness to outsiders might dwindle. […] Spain has shown other advanced economies how immigration can be an important source of economic resilience, even in a period of instability at home and abroad. To remain an exemplar, Spain needs to turn its demographic windfall into lasting prosperity. »