Entretien réalisé le mardi 20 mai dans l’après-midi, par téléphone et en français.
Eliza Barnea travaille pour l’ONG environnementale Bankwatch où elle se consacre à la promotion d’une transition juste en Roumanie. Elle décrypte les enjeux de la nouvelle présidence roumaine et les attentes de la société civile face aux urgences climatiques…
Qu’attendez-vous du nouvel exécutif concernant les défis environnementaux ? L’action de Nicușor Dan à la mairie de Bucarest vous donne-t-elle bon espoir ?
C’est difficile de comparer la mission d’un maire à celle d’un président. Certes, l’action de Nicușor Dan à la mairie de Bucarest laisse entrevoir une orientation prometteuse. Il s’est attaqué aux dérives de l’urbanisme chaotique et à l’influence des groupes immobiliers corrompus, tout en défendant activement les transports durables, la protection du patrimoine, la promotion des espaces verts et la biodiversité. Ces choix traduisent une vision claire du développement urbain durable. Issu de la société civile, Dan semble accorder une réelle valeur au dialogue avec les ONG, ce qui contraste avec l’hostilité croissante de l’État envers ces acteurs ces dernières années, une hostilité contraire aux principes démocratiques. Même si son programme présidentiel reste timide sur les thématiques climatiques, avec peu de mention du changement climatique ou des énergies renouvelables, son passé laisse espérer un engagement plus fort à l’échelle nationale. La présidence, bien qu’indirectement impliquée dans la gestion climatique, peut définir des priorités, soutenir les politiques sectorielles vertes, et porter une voix ambitieuse dans les enceintes internationales. Dan pourrait devenir un vecteur d’ouverture et de continuité.
Quelles sont les priorités ?
Elles sont claires : maintenir l’engagement climatique de la Roumanie, voire le renforcer à travers une vision cohérente et intégrée de la transition énergétique. Cela suppose d’assurer une décarbonation équilibrée, en tenant compte de ses implications sociales et économiques, notamment dans les régions affectées par la reconversion industrielle. L’enjeu est aussi de veiller à des politiques publiques efficaces et intégrées à travers tous les secteurs touchés par le changement climatique, que l’on parle d’agriculture, d’industrie, de gestion des déchets et de promotion de l’économie circulaire, de lutte contre la déforestation illégale ou de protection des ressources naturelles. Il est crucial de maintenir le cap fixé par les engagements climatiques et énergétiques pris par la Roumanie à l’échelle européenne et internationale. Selon la Banque mondiale, les pertes potentielles dues uniquement aux inondations sont estimées à 2 milliards d’euros par an. De fait, l’année dernière, les inondations à Galați ont entraîné des pertes humaines et des coûts estimés à 150 millions d’euros, selon les autorités. Or, ces dernières années, l’espace civique s’est réduit ; la société civile travaillant sur les questions environnementales a été marginalisée, voire attaquée, comme l’a récemment montré l’affaire Romgaz-Greenpeace. Le nouveau président doit non seulement garantir la continuité des engagements européens et internationaux, mais aussi incarner un leadership apaisé, capable de réunir les forces vives autour d’un projet de société comme la transition verte, de manière transparente et ambitieuse.
La situation géopolitique a relayé les questions environnementales au second plan, ici comme ailleurs. Comment faire pour recentrer les débats ?
Le contexte géopolitique tend à éclipser les priorités climatiques, mais il serait dangereux de les opposer. Le changement climatique est aussi une question de sécurité nationale. Il aggrave les inégalités sociales, menace les infrastructures, altère la santé publique, et affaiblit les systèmes économiques. La transition verte n’est donc pas un luxe, mais une réponse stratégique aux défis structurels du pays. Pourtant, le débat public reste confus. L’action climatique est parfois perçue comme idéologique, et l’Union européenne sert souvent de bouc émissaire lorsque des réformes impopulaires s’imposent. Cette polarisation empêche un dialogue rationnel. Recentrer les débats suppose de restaurer la confiance, notamment en valorisant l’expertise de la société civile, aujourd’hui marginalisée. Une présidence ouverte et lucide sur ces sujets peut réintroduire la question environnementale dans l’agenda national en lui donnant une place transversale. Il s’agit d’investir dans la pédagogie, et de rappeler que la résilience d’une société dépend autant de ses capacités militaires que de son aptitude à répondre à la crise climatique.
Propos recueillis par Charlotte Fromenteaud (20/05/25).