Entretien réalisé le vendredi 30 mai dans la matinée, par téléphone et en roumain.
L’économiste Dan Popa livre son analyse sur les défis de la nouvelle présidence roumaine, entre l’urgence de tempérer l’attrait de l’extrémisme et celle de réduire les dépenses publiques…
Y a-t-il un risque que les souverainistes gagnent du terrain en l’absence de mesures visant à réduire la pauvreté et qui pourraient remédier au désenchantement d’un grand nombre de Roumains ?
Ce risque a été énorme avant le second tour de l’élection présidentielle. Désormais, tout dépend de la capacité de la nouvelle administration à expliquer aux gens la situation économique, à leur dire ouvertement que nous traversons une période difficile et que des mesures d’ajustement sont indispensables. Si le risque extrémiste est désormais moindre, les anciens candidats à la présidentielle Călin Georgescu et George Simion étant moins visibles et le parti AUR au bord d’une scission, les défis demeurent. C’est le résultat de l’absence d’initiatives tout au long de ces trente dernières années destinées à combler l’écart entre les régions les plus développées et les plus pauvres. Je citerais, par exemple, le retard dans la construction d’autoroutes afin de relier les différentes provinces. Au fur et à mesure que des investissements seront réalisés dans les régions les moins riches, ces inégalités s’atténueront. Mais cela va prendre du temps. Il faut ensuite penser à d’autres facteurs clés, dont l’éducation. Nous avons le taux d’abandon scolaire le plus élevé parmi les pays européens, de nombreuses familles dans le milieu rural ne se permettant pas d’envoyer leurs enfants à l’école. Bref, si la Roumanie a connu ces dernières années une forte croissance économique, les fruits de cette croissance n’ont pas été répartis uniformément, loin de là.
On entend beaucoup que l’urgence pour la Roumanie est surtout de réduire le déficit public, sous peine de se voir infliger des sanctions par la Commission européenne. Que recommanderiez-vous au prochain gouvernement, augmenter les taxes ou couper dans les dépenses ?
Je plaiderais pour une solution équilibrée. Depuis trente ans, nous dépensons beaucoup plus qu’on ne peut se le permettre. La solution raisonnable serait donc de sabrer dans les dépenses, mais en regardant de très près où l’on place le bistouri. Certains secteurs, comme la santé et l’éducation, sont sous financés, on ne peut raisonnablement les amputer davantage. En parallèle, il faudrait augmenter les rentrées d’argent public en améliorant la collecte des taxes et des impôts, ou encore en adoptant des mesures plus efficaces contre l’évasion fiscale. Renoncer au taux unique d’imposition, une nécessité évoquée par différents responsables politiques ainsi que par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, n’est pas faisable du jour au lendemain, cela requiert notamment un système informatique performant au sein de l’Agence nationale d’administration fiscale (Anaf, ndlr), ce qui prend du temps. Mais je pense qu’à terme, on se dirige inévitablement vers cette solution. En revanche, une hausse de la TVA serait, à mon avis, la pire des solutions, elle ne ferait qu’augmenter l’inflation, déjà très élevée.
Quels devraient être les moteurs de relance de l’économie ?
La croissance s’est tassée en 2024 et début 2025 sur fond de faiblesses structurelles mais aussi d’un ralentissement des économies de nos principaux partenaires. La Roumanie exporte essentiellement vers l’Allemagne ; si ce pays enregistre une croissance nulle ou presque, la demande de biens importés sera à son tour proche de zéro et les compagnies roumaines n’auront plus de débouchés. Nous devrions chercher de nouveaux partenaires commerciaux. Pour ce qui est des moteurs, je pense que cette année la croissance sera portée par la consommation, alors que les investissements reculent, tout comme les exportations. Je m’attends à une hausse du produit intérieur brut d’environ 1%, pas plus. De fait, vu que nous importons beaucoup plus que nous n’exportons, nous continuerons surtout de renforcer le PIB de nos partenaires commerciaux. Paradoxalement, la Roumanie est le pays ayant enregistré les hausses salariales les plus élevées au sein de l’Union européenne, ce qui stimule d’abord la consommation. Mais il faut aussi et surtout une stratégie nationale visant le développement économique de façon large, et centrer davantage les politiques sur certains secteurs et leviers, comme l’intelligence artificielle ou les investissements étrangers.
Propos recueillis par Mihaela Rodina (30/05/2025).