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Entretien réalisé le lundi 19 mai dans l’après-midi, par téléphone et en roumain (depuis Iași).


Bogdan Crețu est écrivain, historien et professeur des universités à la Faculté de lettres de l’université Alexandru Ioan Cuza de Iași. Nominé cette année pour le Prix de littérature de l’Union européenne, il témoigne de la manière dont il a vécu l’élection présidentielle en Roumanie…

Le scrutin présidentiel a mis en lumière une profonde division de la société roumaine. Comment l’avez-vous ressenti ?

Cette division est ma principale préoccupation en ce moment, et je crois qu’elle devrait l’être pour chacun d’entre nous. Parce qu’il y a évidemment deux sociétés roumaines. Une Roumanie qui s’est adaptée, qui s’est occidentalisée, qui voyage et vit décemment, qui parle des langues étrangères, etc. Et il y a une Roumanie qui est restée à la traîne. Une situation d’ailleurs similaire à celle observée au 19ème siècle. La modernisation se fait à la verticale et n’atteint pas les couches les plus modestes de la société. Quant à nous, écrivains et intellectuels, nous devons être conscients que nos discours ne portent pas aussi loin qu’ils le devraient. C’est en soi très préoccupant d’observer que cinq millions de Roumains, dont près d’un million vivant à l’étranger, approuvent des discours populistes et revanchards parce qu’ils sont déçus du système. Autre point, la Roumanie récolte actuellement les fruits d’un système éducatif inefficace. Dépourvu de sens critique et de discernement, l’électorat populiste adhère émotionnellement à des discours sans se rendre compte du danger qu’ils représentent. Discours et idées vides de sens par ailleurs ; la politique étrangère, l’économie, les sphères d’influence dans le contexte des guerres actuelles ne figuraient pas dans les thèmes de campagne des souverainistes. Au lieu de ça, ils ne parlaient que de la nation, de l’identité, et bien sûr de religion.

Qu’est-ce qui vous a le plus inquiété pendant la campagne ?

L’agressivité et la violence, du moins au niveau discursif. Les années 90 ont été très violentes ; dans la rue même, c’était dangereux. Je pensais que nous avions dépassé ce moment et que le pays était désormais à l’abri de tout ça. Nous vivons un paradoxe… La Roumanie est un pays où il est désormais possible de vivre décemment. Or, soudainement, toutes sortes de discours faisant écho à des périodes très sombres de notre histoire sont apparus dans l’espace public. Selon moi, il y a une filiation évidente entre ces discours mêlant orthodoxisme et nationalisme propre à l’extrême droite et les tendances légionnaires et fascistes de l’entre-deux-guerres. On le voit bien dans le style et la rhétorique de George Simion et d’autres souverainistes, mais aussi sur les chaînes de télévision qui promeuvent de tels propos. Il n’y a aucun débat d’idées, il ne s’agit que d’une sorte de cirque mettant en scène la vulgarité et la violence. Le problème est que cela plaît aux gens car, dans le fond, ils ne veulent pas d’un président meilleur qu’eux mais qui leur ressemble. Beaucoup méprisent les élites et les personnes éduquées car ils ont perdu confiance en ces modèles. Voyez la manière dont le président élu a été moqué dans certains milieux…

Et pourtant, le candidat pro-européen a remporté l’élection. Que dit aussi cette victoire de la société roumaine ?

Il faut effectivement reconnaître que si la victoire n’a pas été simple, elle est toutefois nette et sans bavure. Plus de sept points d’écart, la différence est considérable. D’autant que Nicușor Dan ne disposait pas de parti ou d’institution derrière lui. Mais cela l’a également servi ; il n’a pas été associé au système. En définitive, ces élections nous ont surtout montré que l’ensemble des Roumains éprouve un rejet à l’égard de la classe politique. Un sentiment de révolte voire de répulsion en réaction à la politisation des institutions et à la nomination de personnes incompétentes, un vote de censure contre les réseaux d’intérêts. N’oublions pas que le principal atout de Călin Georgescu était d’être sorti de nulle part. Par ailleurs, le résultat révèle que les Roumains sont également rationnels, et savent apprécier les qualités intrinsèques d’un candidat. Les gens ont plébiscité Nicușor Dan pour ce qu’il représente. Ce ne fut pas seulement un vote négatif contre le système, mais aussi un vote positif pour lui en tant que personne. C’est une évidence dans la mesure où près de deux millions de personnes supplémentaires se sont déplacées aux urnes pour le second tour.

Propos recueillis par Ioana Stăncescu (19/05/25).

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