Entretien réalisé le mardi 20 mai dans la matinée, par téléphone et en roumain (depuis New York).
Nouvelle discussion avec Aurelian Mohan, chef de projet à l’université de Columbia (New York). Il se penche sur les conséquences de l’élection présidentielle roumaine dans la région et au-delà…
Comment le résultat du 18 mai devrait-il être perçu en Europe de l’Est ?
Il s’agit avant tout d’une bouffée d’oxygène pour les régimes démocratiques de la région, même s’il faut bien admettre que le choix d’un président pro-européen n’est en soi pas la réponse à tous les problèmes de la Roumanie. Nous en saurons plus une fois qu’un gouvernement sera désigné et que le président procédera à des choix politiques. Beaucoup s’attendaient à ce que la Roumanie emprunte la voie d’autres pays proches comme la Hongrie, la Pologne ou la Serbie, qui ont tous été marqués par des vagues anti-démocratiques voire extrémistes ; le résultat de dimanche est donc un soulagement, il s’agit de cinq ans de gagné. D’un point de vue bilatéral, nos relations avec Budapest ne devraient pas foncièrement changer. Je ne m’attends ni à davantage de collaboration, ni à une escalade des tensions. Par contre, bien que Viktor Orbán ait pu soutenir George Simion, à mon sens le résultat du 18 mai est en faveur de la minorité hongroise de Roumanie, leurs droits ne devraient pas être bafoués. Pour ce qui est de la république de Moldavie, les choses sont encore plus évidentes dans la mesure où le candidat Dan y a été véritablement plébiscité – il y a en effet obtenu 88% des suffrages, ndlr. Cela nous indique clairement que les Moldaves disposant de la citoyenneté roumaine soutiennent une direction pro-européenne et pro-démocratie, pour la Roumanie en tout cas.
À quoi s’attendre concernant les relations de la Roumanie avec la Russie et l’Ukraine ?
Difficile à anticiper. Toutefois, j’estime que la Russie est désavantagée par ce résultat dans le sens où Cotroceni devrait s’aligner avec la France et le Royaume-Uni en soutenant l’Ukraine de manière évidente. Cela permettra sans doute à notre pays de s’affirmer davantage comme un acteur régional important, sans doute plus important même que ces dernières années. Pour ce qui est de notre relation avec Moscou, nous pouvons ainsi nous attendre à davantage d’agressivité d’un point de vue discursif et rhétorique, sans toutefois d’autres conséquences étant donné que nous bénéficions du parapluie de l’Otan. Par ailleurs, il est envisageable que la Roumanie se rapproche davantage de Washington. La raison ? Depuis quelque temps, il semblerait que les Américains se rendent compte que le leader du Kremlin n’est pas un partenaire fiable ; cela pourrait les obliger à miser davantage sur leurs alliés actuels. La Roumanie a ici une opportunité à prendre et pourrait jouer un rôle primordial. Et même s’il est fort probable que les États-Unis retirent leurs contingents de la région, cela ne mènerait pas forcément à une extension du conflit, que ce soit en Roumanie ou dans d’autres pays de l’Otan.
Considérez-vous que la Roumanie a fait montre de progrès dans sa manière d’aborder la désinformation, en particulier russe, lors de ce second scrutin ?
Oui, l’État roumain a démontré des progrès dans sa manière d’aborder le scrutin électoral par rapport à novembre dernier. Il y a eu moins d’approximations et les choses ont été organisées plus efficacement, il y a eu une vraie différence. Et il fallait bien ça ; la propagande russe a une nouvelle fois été très forte. C’est la société roumaine dans son ensemble qui a aussi été mieux préparée. Et cela a contribué à faire en sorte qu’un président pro-européen ait été élu. Dans ce sens, la propagande a échoué. En résumé, on peut dire que la Roumanie est sur la bonne voie en termes de politique étrangère. Reste à voir quels seront les choix du nouveau président, et s’il sera dans l’action ou davantage réservé.
Propos recueillis par Benjamin Ribout (20/05/25).