Entretien réalisé le vendredi 18 octobre dans la matinée, par téléphone et en roumain.
Quel est l’état de l’économie sociale en Roumanie et dans la région ? Nous avons posé la question à Angela Achiței, entrepreneure sociale, présidente du groupe ADV et de Rise Roumanie…
Vous avez obtenu des changements législatifs visant à améliorer les relations entre le marché du travail et les personnes issues des groupes dits vulnérables. Où en est-on aujourd’hui ?
Ces dernières années, nous avons effectivement travaillé sur cinq propositions différentes de projets de lois, lesquelles couvrent de très nombreux aspects. Mais notre degré de satisfaction est assez bas, il reste encore beaucoup à faire. Quand il s’agit de personnes vulnérables, les mesures législatives doivent s’accompagner d’une vision globale. Typiquement, c’est quand il y a un manque de main-d’œuvre que les employeurs se réveillent, au lieu d’assurer une transition efficace de façon continue entre l’assistanat social et le monde du travail. Les individus avec un handicap, physique ou mental, ne peuvent pas intégrer une structure immédiatement, la marche est trop haute ; ils ont souvent abandonné l’école tôt et n’ont pas de qualification, ils n’ont parfois jamais travaillé, à quoi s’ajoutent d’autres problèmes. Un mix est nécessaire comprenant des services sociaux et de la formation. Or, qui fait ça le mieux ? Ce sont les entreprises sociales d’insertion spécialisées dans l’économie sociale, ainsi que les unités dites protégées, centrées sur l’emploi des personnes handicapées. Elles existent, et beaucoup se créent. Pour 2025 et 2026, plus de 6500 entreprises sociales ont été et seront lancées en Roumanie. Mais pour nombre d’entre elles, le problème récurrent est le manque de financement à terme, et le peu d’harmonisation avec le marché du travail dans son ensemble.
La Roumanie a pourtant de grands besoins en matière de main-d’œuvre…
Oui, il n’y a qu’à voir tous ceux que nous faisons venir de l’étranger, également issus de groupes vulnérables pour la plupart. Environ 35% de la population roumaine est pauvre, et une grande partie de ces personnes n’est pas intégrée au marché du travail – elles perçoivent, en moyenne, entre 120 et 130 euros par mois et par personne, ndlr. Ce qui fait que l’État dépense mensuellement 15 millions d’euros en aides sociales. Mais encore une fois, il faudrait aussi et surtout investir dans les entreprises sociales d’insertion. D’autant que pour chaque personne employée dans une structure sociale, au moins 315 euros reviennent dans les caisses publiques sous la forme de taxes. Le problème principal est le manque d’intérêt pour passer à l’action. L’année dernière, l’État a encaissé 620 millions d’euros de la part de sociétés publiques et privées n’employant pas 4% de personnes handicapées – un taux minimum qui est une obligation légale, ndlr. Par ailleurs, aucune société roumaine ne dépasse ce pourcentage, et il y a beaucoup de « social washing ». D’un autre côté, il existe des entreprises qui souhaiteraient employer ce type de personnes, sauf qu’il leur manque certaines compétences. Il est essentiel d’encourager les structures transitoires avant de propulser les individus vulnérables vers le marché du travail, et ce n’est pas aux entreprises non spécialisées dans le domaine de s’en occuper.
En quoi la Roumanie se distingue-t-elle de la république de Moldavie et de l’Ukraine, pays dans lesquels vous travaillez également sur ces questions ?
Les aspects qui relèvent des préjugés, des mentalités, de l’individualisme et du rejet des personnes pauvres et défavorisées se retrouvent dans les trois pays. Certes, les législations sont différentes ; la Roumanie bénéficie d’une loi sur l’économie sociale, alors qu’en république de Moldavie, l’entrepreneuriat social est intégré dans une loi sur les petites et moyennes entreprises. En Ukraine, il n’y a ni loi, ni mention de l’économie sociale dans aucune législation. Par ailleurs, la Roumanie dispose de financements européens destinés aux startup actives dans l’économie sociale, et il va y en avoir prochainement aussi pour les unités protégées déjà mentionnées. Cela existe aussi en république de Moldavie, mais les financements européens accessibles sont moins importants. En Ukraine, nous avons pu créer une entreprise sociale, il y a eu des fonds européens mais c’était avant la guerre. Dernièrement, nous avons été contactés par les autorités pour travailler sur l’insertion des vétérans de guerre qui font désormais partie des groupes vulnérables. Cela ira de pair avec la reconstruction du pays et des communautés locales. Quand la guerre finira, il y aura là-bas un grand besoin d’entreprises sociales.
Propos recueillis par Benjamin Ribout (18/10/25).