Entretien réalisé le jeudi 20 juin dans la matinée, par téléphone et en roumain.
L’architecte Veronica Răileanu Vaida, coordinatrice de l’association Ambulanța pentru monumente (Ambulance pour les monuments) qui vient de recevoir un prix prestigieux de la part de The King’s Foundation créée par le roi Charles III du Royaume-Uni, se penche sur les défis de la sauvegarde du patrimoine architectural en Roumanie…
Comment a débuté votre projet et combien de monuments votre association a-t-elle sauvé jusqu’à présent ?
L’association Monumentum – qui a fédéré plusieurs ONG pour mettre sur pied Ambulanța pentru monumente en 2016, ndlr – a commencé dès 2012 à se documenter sur les bâtiments menacés, inquiète du mauvais état de l’architecture vernaculaire. Nous avons par la suite élargi la portée de nos actions pour y inclure les bâtiments classés. À ce jour, l’association a mené une centaine d’interventions sur des monuments dont certains, tels que l’église évangélique fortifiée de Roadeș (centre de la Roumanie, ndlr), ont nécessité des travaux étalés sur plusieurs années. Au début, alors qu’un rapport de l’Institut national du patrimoine faisait état de plus de 600 monuments qui risquaient de s’effondrer, nous en avons choisi six qui nous semblaient importants d’un point de vue architectural et historique. Au fil du temps, au-delà de la valeur d’un monument en soi, nous avons aussi compris l’importance de la manière dont la communauté locale s’y rapporte. Parfois, il existe une rupture culturelle, un désintérêt pour l’édifice en question. Dans d’autres cas, des membres des différentes communautés, des villageois ou des historiens viennent eux-mêmes vers nous pour signaler tel ou tel monument en danger. La mobilisation des habitants est cruciale. Si une communauté est inerte ou méfiante, notre intervention est très difficile. À l’opposé, les restaurations les plus gratifiantes sont celles où la communauté s’implique. Exemple, dans un village du département de Sălaj (nord-ouest du pays, ndlr), très divers d’un point de vue confessionnel, les habitants se sont donné la main pour appuyer la restauration d’une petite église orthodoxe en bois. Dans notre activité, le bouche-à-oreille joue un rôle crucial, et nous jouissons désormais d’un taux de confiance élevé au sein des communautés locales grâce à une mobilisation équilibrée entre ces communautés, les autorités et les experts.
Parmi les monuments restaurés figure un pont érigé par le prince de Moldavie Étienne le Grand (1457-1504) à Negoiești, au nord-est de la Roumanie. Quelle est l’histoire de cet ouvrage ?
Construit au 15ème siècle sur ordre du voïvode moldave, ce pont était destiné à la surveillance de la route du sel à travers la vallée du Trotuș (située à l’est de la Roumanie, au sud de Băcau, ndlr). Au fil des siècles, il a été victime d’interventions non conformes, avec notamment l’utilisation de ciment pour le renforcer sous le régime communiste. L’année dernière, nous avons retiré les matériaux qui gardaient l’humidité, et cet automne, nous prévoyons de nouveaux travaux pour ajouter du mortier de chaux hydraulique entre ses pierres. Je pense aussi à la tour d’habitation de Costești, dans les monts Orăștie (sud-ouest, ndlr), un site dace classé au patrimoine de l’Unesco. Là, l’intervention a été particulièrement compliquée d’un point de vue technique et logistique. La construction était surplombée par un toit improvisé en tôle à travers lequel s’infiltrait la pluie depuis de nombreuses années. La difficulté résidait en l’impossibilité d’y transporter ou d’utiliser des équipements mécaniques car la zone abrite de nombreux vestiges archéologiques. Il a fallu construire une structure en bois démontable, sans fondation, et transporter chaque morceau sur le dos. Ce chantier a été un énorme défi.
Huit ans après le lancement d’Ambulanța pentru monumente, trouvez-vous que les autorités s’attachent davantage à la sauvegarde du patrimoine ?
Il existe des signes encourageants, sans doute à cause de la pression de la société civile. Les autorités sont poussées à agir. Et puis nous avons dépassé la période où, après la chute du communisme, nous nous trouvions sous l’emprise de la faim. Aujourd’hui, les Roumains sont davantage intéressés par la culture et ses valeurs. Mon espoir est également lié aux jeunes qui sont toujours plus nombreux à vouloir mettre la main à la pâte. Il y a une forme de prise de conscience, une envie de se reconnecter à soi-même et à ses racines, de créer quelque chose de ses propres mains et non plus de se contenter d’appuyer sur les touches d’un clavier. Ce désir est de plus en plus présent.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.
Note : Il y a exactement un an, nous avions discuté avec l’architecte Șerban Sturdza sur ce même sujet de la préservation du patrimoine. Lui aussi évoquait l’importance de l’implication des communautés et une prise de conscience grandissante chez les jeunes (« Regard, la lettre » du samedi 1er juillet 2023) : https://regard.ro/serban-sturdza/