Entretien réalisé le vendredi 8 mars en fin d’après-midi à Roşia Montana, en roumain.
Par quels moyens peut-on tourner la page de vingt-huit années de lutte face à une multinationale voulant exploiter les ressources naturelles locales ? Début de réponse avec Tică Darie (31 ans), l’un des acteurs du renouveau de la commune de Roşia Montană dans les monts Apuseni…
Le Tribunal international d’arbitrage a récemment donné raison à l’État roumain contre la multinationale canadienne Gabriel Resources qui voulait exploiter l’or de Roșia Montană*. Comment la commune a-t-elle vécu toutes ces années ?
C’est avant tout un immense soulagement pour beaucoup de gens de la région qui attendaient depuis de nombreuses années une issue heureuse à ce conflit. Il faut bien réaliser à quel point les pressions exercées sur les habitants ont été énormes depuis 1996 et l’arrivée de la société canadienne Gabriel Resources sur la commune. Ce projet a fait énormément de mal, car il a divisé les habitants. Cette compagnie canadienne – qui voulait exploiter le site avec 240 000 tonnes de cyanure et faire voler en éclats plusieurs massifs, ndlr – a utilisé de nombreuses stratégies. Ils ont proposé du travail et un avenir « durable », selon leurs termes, mais ils ont aussi tout fait pour faire partir les gens, notamment quand ils se sont rendu compte qu’il y avait de l’opposition. De nombreuses familles ont été recasées ailleurs et, de fait, aujourd’hui la compagnie possède toujours 80% des propriétés de Roșia Montană, soit environ 850. La plupart des gouvernements successifs, mais aussi les autorités locales et départementales, ont quasiment tous été complices de cette vision puisqu’il n’y a eu aucune autre perspective de développement pour les habitants ; Roşia Montană a littéralement été bloquée durant toutes ces années. Malgré des avancées importantes à certains moments, comme par exemple lorsque le site minier – datant de la période romaine et comprenant 150 km de galeries, ndlr – a été intégré au patrimoine mondial de l’Unesco en 2021, les autorités n’ont jamais rien démarré derrière, préférant laisser la commune mourir à petit feu. Mais avec cette décision, c’est désormais terminé ; nos dirigeants n’ont désormais plus d’excuse et ont même un devoir moral d’agir envers les habitants.
* https://www.rri.ro/fr_fr/rosia_montana_une_victoire_pour_la_roumanie-2701617
Justement, selon vous, quelles sont les priorités ?
En lien avec la dénomination de l’Unesco, il est urgent de se pencher sur la mise en place d’un plan de gestion pour le site. C’est la base. D’après moi, faire du tourisme durable notre atout numéro un est la priorité en matière de développement. Et il faut à tout prix que les maisons et terrains dont je parlais reviennent enfin aux habitants pour mettre un terme à ce monopole de la compagnie minière qui détient quasiment tout. Seules six maisons ont pu être achetées par des particuliers ces dernières années, et la commune s’est vidée – en trente ans, elle est passée de 4200 à 2400 habitants, ndlr. Aujourd’hui, si quelqu’un veut s’installer, c’est quasiment impossible. J’ai pour ambition de devenir maire de la commune, j’ai été candidat deux fois et j’ai déjà fini deuxième. Cette année, j’estime avoir plus que jamais mes chances. Si je gagne, j’augmenterai les impôts sur les bâtiments classés monuments historiques jusqu’au maximum du seuil légal, soit 500%. Et j’infligerai également des amendes à Gabriel Resources car elle n’a pas assuré ses propriétés. Tout cela pour la forcer à vendre rapidement, et faire rentrer de l’argent. Autre priorité : nous avons besoin d’un plan urbanistique général. Pendant toutes ces années, Roşia Montană en a été privé. C’est fondamental, sans cela, il est impossible de construire quoi que ce soit, ni même d’accéder à des fonds européens. Sans parler des routes qui ne sont pas goudronnées et de l’absence d’eau potable…
Êtes-vous confiant dans la capacité de la commune à devenir attractive ?
Complètement. Dans tout le pays, Roşia Montană est associé à un mouvement décisif pour la société civile roumaine. Rappelez-vous 2013 et les manifestations monstres dans les grandes villes, alors que le gouvernement voulait faire passer une loi exceptionnelle pour exproprier tous les habitants d’ici. Pendant toutes ces années, nous avons aussi eu un festival important, le FânFest, une vie culturelle, et même un marathon. Moi-même, à la base, je ne suis pas d’ici, mais quand j’ai débarqué il y a dix ans, j’ai senti qu’il était non seulement nécessaire de faire des choses dans ce lieu mais qu’il y avait aussi un sacré potentiel – en signe de soutien à Roșia Montană, Tică Darie avait alors fait le trajet en vélo depuis Copenhague où il était étudiant, ndlr. Je suis en train de rénover une maison et compte ouvrir un bistrot début mai ; et j’ai surtout créé une petite start-up – Made in Roșia Montană, ndlr – qui fabrique des vêtements en laine mérinos tricotés à la main. Je n’ai fait que mettre en valeur un savoir-faire local. Nous avons désormais un magasin ici, un autre à Cluj, et nous vendons beaucoup en ligne, à l’étranger notamment. Tout cela s’explique par la notoriété et le capital sympathie dont bénéficie la commune. Notre projet emploie plusieurs dames du village, nous avons monté une véritable petite affaire. Et ce n’est que le début, tout est à faire. D’autres personnes s’activent aussi pour que cet endroit renaisse de ses cendres.
Propos recueillis par Benjamin Ribout.