Entretien réalisé le 27 novembre en début d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Simona Stănescu est chercheuse à l’Institut de recherche pour la qualité de vie et docteure en sociologie à l’université de Bucarest. Spécialiste des politiques d’assistance sociale, elle parle de la situation des familles sans enfant en Roumanie…
Les familles sans enfant sont en augmentation, comment l’expliquez-vous ?
Effectivement, la Roumanie se confronte à une crise démographique dans le sens où de plus en plus de couples décident de repousser le moment où ils souhaitent devenir parents. D’autres pays européens sont dans la même situation. Ici, plusieurs facteurs influencent généralement une telle décision, comme par exemple le niveau de vie, la confiance dans les institutions, un éventuel départ à l’étranger, mais aussi les choix de carrière. Avec mes collègues de l’Institut, notre dernière enquête menée auprès de plusieurs couples roumains, jeunes et moins jeunes, permet d’affiner tout cela. Selon nos résultats préliminaires, la décision de ne pas avoir d’enfant est motivée par deux facteurs majeurs : le sentiment d’insécurité lié à l’avenir, et le désir de faire carrière. Les deux parents ont, semble-t-il, davantage besoin d’être sûrs de pouvoir bien élever leur enfant. Quant aux femmes, parvenir à un niveau d’indépendance financière suffisant apparaît désormais comme une condition sine qua non. Ce paramètre apparaît clairement, la Roumanie ne fait plus exception à ce niveau-là.
En quoi les familles roumaines sans enfant sont-elles différentes de celles des autres pays européens ?
Rappelons d’abord que les Roumaines ont le droit d’avorter seulement depuis 1990. Sous Ceauşescu, c’était interdit. Les couples peuvent enfin décider de leur avenir. Malheureusement, dans un pays où l’éducation sexuelle est pratiquement inexistante, ce droit est quelque part mal compris, les autres moyens contraceptifs deviennent obsolètes, d’où le nombre très important de mères adolescentes en Roumanie. Les chiffres sont éloquents ; en 2016, environ 14% des premiers enfants roumains et bulgares étaient nés de mères adolescentes*. Autre spécificité, l’ampleur du phénomène migratoire. Selon l’OCDE, pas moins de 630 000 enfants roumains sont nés à l’étranger entre 2008 et 2018. De fait, de nombreux couples attendent de quitter le pays avant d’avoir un enfant. Sans compter qu’une partie d’entre eux font le choix de ne pas avoir d’enfants afin justement d’émigrer plus facilement.
* Plus récemment, un rapport de 2022 de l’organisation Salvaţi Copiii faisait état qu’au sein de l’UE, 45% des mères dont l’âge est inférieur à 15 ans venaient de Roumanie.
Quelles autres évolutions récentes caractérisent la famille roumaine ?
Un aspect très intéressant est lié à la pandémie ; le confinement a remis au goût du jour une forme de répartition traditionnelle des rôles au sein de la famille. Je fais référence ici au rôle joué par les femmes au sein du foyer, lesquelles ont endossé à nouveau une partie des responsabilités qui étaient les leurs avant la pandémie. D’après ce que nous avons pu observer, elles s’occupent davantage des enfants ainsi que des tâches ménagères. Mais il va sans doute falloir attendre encore un peu pour obtenir des chiffres fiables et mieux interpréter la manière dont cette situation a évolué. Par ailleurs, évoquer les couples sans enfants signifie aussi parler des couples du même sexe. Bien que ces derniers ne soient pas autorisés à se marier, la loi roumaine permet à toute personne, quelle que soit son orientation sexuelle, d’adopter un enfant. En 2021, pour la première fois, la Roumanie a autorisé l’adoption d’un enfant abandonné par un homme ayant reconnu son homosexualité.
Propos recueillis par Ioana Maria Stăncescu.
En complément, cet article d’Eurostat édité en mars dernier sur le taux de natalité au sein de l’Union européenne. En 2021, il était relativement élevé en Roumanie, malgré la persistance d’une crise démographique qui dure depuis plusieurs années.