Silvia Marton, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Bucarest, et l’une des premières personnalités que nous avons interviewées il y a un an, revient sur la crise politique actuelle…
Que dit cette crise prolongée sur la responsabilité des dirigeants du pays ?
C’est la crise de leadership au sein du PNL qui a précipité et aggravé la crise politique actuelle. Et la volonté du chef de l’État Klaus Iohannis de contrôler le PNL n’a fait qu’aggraver les choses. Comme d’habitude, le PSD se nourrit de la confusion et des animosités, il a profité de cette crise, a grandi en popularité et en pouvoir de négociation et de décision. De son côté, le Premier ministre intérimaire et chef du PNL Florin Cîțu a joué un rôle de blocage ces deux derniers mois. Il est le principal responsable du prolongement de la crise politique. Et souffre quelque part du syndrome de l’imposteur : parachuté de trop haut et trop vite au sein du PNL et dans le gouvernement, il sait qu’il peut lui aussi être débarqué très vite. Depuis septembre, Florin Cîțu a mené des négociations très contradictoires, chaque fois le PNL a reculé, et s’est retrouvé dans une position toujours plus défavorable. Au bout du compte, le PNL a fait beaucoup de concessions au PSD sans avoir gagné ce que Florin Cîțu espérait pour lui-même et son pouvoir personnel. Quant au chef de l’État, il semble peu sensible aux crises qui se multiplient autour de lui. Après avoir soutenu Florin Cîțu, il a trop tardé pour imposer son alternative en la personne du général Nicolae Ciucă.
De nouveau un militaire…
Effectivement, on essaie de compenser le manque de crédibilité de la classe politique par la venue de figures de l’armée, le général Nicolae Ciucă pour le poste de Premier ministre, ou Valeriu Gheorghiță, médecin militaire et coordinateur de la campagne nationale de vaccination. Ceci étant, la logique d’ensemble reste la politique politicienne. Et cette crise a dévoilé encore une fois que le Premier ministre doit être également le chef du parti au pouvoir. Sinon, les tensions sont inévitables, dans le sens où le Premier ministre finit un jour ou l’autre par remplacer le chef du parti.
Peut-on dire, d’une certaine façon, que le peuple roumain porte lui aussi une part de responsabilité vis-à-vis la situation politique actuelle ?
Difficile à dire… Qui sont les Roumains ? Ils sont tous très différents, avec des intérêts différents, des attentes différentes, des visions et des idéologies plus ou moins claires, et des angoisses évidentes en cette période de pandémie. Ils sont très divers, heureusement. De ce point de vue, il y a un pluralisme sain en Roumanie. D’un autre côté, dans une démocratie, on s’attend à ce que les partis soient les voix et le lien entre les vœux de la population et le gouvernement. Or, ici, le mécontentement est immense. Les gens voient les partis soit comme des formations de niche, soit comme des entités agissant principalement selon leurs propres intérêts. Il y a un fossé évident entre les citoyens et les partis ; et nous, en tant que citoyens, sommes insatisfaits. De plus, nous avons un système politique assez statique, avec peu de nouvelles personnalités et de renouveau au Parlement. Les trois grands partis consolidés, PSD, PNL et UDMR, ont un électorat captif, de simples électeurs, mais aussi des clients, des hommes d’affaires, des élus locaux, qui dépendent des ressources fournies par ces mêmes partis. Il est normal d’avoir de tels réseaux, mais le problème est que dans notre pays, les formations politiques se sont repliées sur cette logique clientéliste, au lieu de s’ouvrir à d’autres intérêts, à d’autres citoyens. Pour revenir à votre question, si l’on cherche des responsables, je les vois plutôt au sein même des partis, et tout en haut.
Propos recueillis par Carmen Constantin.