Entretien réalisé le mardi 13 juin 2023 dans l’après-midi, par téléphone et en français (depuis Cluj-Napoca).
Suite aux élections d’avril, la Bulgarie semble avoir retrouvé un peu de stabilité politique. Sergiu Mișcoiu, professeur de sciences politiques à l’université Babeș–Bolyai de Cluj-Napoca, fait le point sur ce nouveau contexte…
Après plusieurs séries d’élections anticipées, la Bulgarie est-elle enfin à l’aube d’une période de stabilité politique ?
Il semblerait que oui. Les arrangements qui ont suivi les élections d’avril, véritable feuilleton balkanique avec toutes sortes de rebondissements, ont abouti à une fin heureuse, du moins pour l’instant. Ils ont été conclus par un pacte de coalition gouvernementale entre les deux principaux partis, tous deux de centre-droit : le GERB de l’ancien Premier ministre Boiko Borisov, aujourd’hui dirigé par l’ancienne Commissaire européenne Maryia Gabriel, et le PP-DB, une coalition de centre-droit aux accents civiques et libéraux. Ensemble, ils ont convenu d’introduire un mécanisme de gouvernance d’inspiration roumaine avec une rotation du gouvernement, mais d’une durée plus courte qu’en Roumanie. Selon ce pacte qui a conduit à la formation du gouvernement le 6 juin dernier, il y aura une alternance gouvernementale, en ce sens que Nikolai Denkov – ancien ministre de l’Éducation de 2021 à 2022, ndlr – sera Premier ministre pendant neuf mois, avant que l’actuelle vice-Première ministre, Maryia Gabriel, soit nommée à son tour. Malgré un certain mécontentement au sein de l’aile plus civique et anti-corruption du PP-DB, il existe un large consensus en faveur de la mise en place de cette coalition qui, il faut bien l’avouer, devrait enfin permettre à la Bulgarie de sortir d’une situation difficile. Depuis des années, les élections se succèdent, entraînant tour à tour la montée puis la chute des partis populistes et nationalistes.
En tant que membre de l’OTAN et de l’UE, comment décririez-vous le soutien de la Bulgarie à l’Ukraine ?
Comme le montrent la plupart des recherches sociologiques sur l’opinion de la population bulgare, mais aussi les déclarations publiques et les actions des différents gouvernements, ce soutien est pour le moins relatif. Fondamentalement, du point de vue de l’opinion publique, nous avons un clivage entre ceux qui voudraient voir une plus grande neutralité de la Bulgarie, et ceux qui souhaiteraient un soutien continu et même accru à l’Ukraine. Au sein de l’appareil d’État, les choses sont certainement un peu plus verticales, en ce sens qu’il y a davantage d’opinions en faveur du soutien à l’Ukraine. Quoi qu’il en soit, de façon générale, on peut dire que la Bulgarie fait preuve d’une grande prudence. Cette prudence est à la fois liée à la dépendance énergétique historique de la Bulgarie vis-à-vis de la Russie, notamment pour le gaz ; bien que récemment, la Bulgarie a réussi l’exploit de se libérer en moins d’une année de cette dépendance. Et à un certain nombre de raisons historico-culturelles… La Bulgarie considère la Russie comme un pays qui a permis la création de l’État bulgare moderne, l’a aidée à se dépêtrer de la domination ottomane, tout cela dans un contexte de proximité culturelle slave et orthodoxe.
Dans quelle mesure l’influence de la Russie est-elle toujours forte en Bulgarie ? Et que pensez-vous de l’évolution des relations entre la Bulgarie et ses partenaires occidentaux ?
L’influence de la Russie a beaucoup diminué. L’un des effets de la guerre en Ukraine est que la Russie a perdu un certain nombre de partenaires naturels. Moscou avait plusieurs factions de son côté dans de nombreux pays du monde, non seulement parce qu’elles étaient financièrement intéressées, mais aussi parce qu’il existait un courant en faveur d’une alternative au capitalisme mondial. En raison de l’invasion de l’Ukraine, cette influence directe s’est considérablement amoindrie. La Bulgarie est l’un des pays où ce déclin est le plus visible. Auparavant, la société était très divisée, et il y avait des appels assez fréquents pour soutenir l’idéologie russe, le panslavisme, etc. Mais aujourd’hui, d’un point de vue institutionnel d’abord, la Bulgarie s’est montrée un participant ouvert et efficace aux campagnes de l’OTAN et de l’UE visant à soutenir l’Ukraine et à accroître la résilience régionale. Et de nombreux Bulgares, je dirais même une majorité d’entre eux, considèrent désormais que le seul espoir pour l’avenir réside dans le maintien et le renforcement de l’intégration européenne d’une part, et d’autre part dans la participation active aux structures euro-atlantiques.
Propos recueillis par Carmen Constantin.