Entretien réalisé le samedi 16 septembre dans l’après-midi, par téléphone et en français.
Șerban Cioculescu, maître de conférences à la Faculté de sciences politiques de l’université de Bucarest, analyse les conséquences des débris de drones russes récemment retrouvés sur le sol roumain…
Comment percevez-vous la réponse de l’Otan* et des autorités roumaines suite aux incidents survenus dans le delta du Danube ?
Il était clair que la Russie allait attaquer plusieurs endroits en Ukraine, y compris près des frontières, sur le flanc oriental de l’Otan. Même si elle a longtemps hésité, précisément parce qu’elle ne voulait pas provoquer des incidents qui augmenteraient l’aide économique et militaire occidentale à l’Ukraine, mais aussi le risque que la Fédération de Russie entre en conflit direct avec l’Otan. Frapper ces installations portuaires, situées sur la rive ukrainienne du Danube, impliquait dès le départ la possibilité qu’un ou plusieurs drones, ou missiles, tombent sur le territoire de l’Otan. N’oublions pas que des personnes ont déjà trouvé la mort en Pologne dans des situations similaires. Quant à la réaction des autorités roumaines, il est possible qu’au début, compte tenu de la nature de la zone peu peuplée, boisée et marécageuse où est tombé le premier drone, elles n’y aient même pas cru – jusqu’à présent, trois drones sont tombés sur le territoire roumain, ndlr. Nous savons qu’elles l’ont cherché et qu’elles ne l’ont pas trouvé. Les habitants, en revanche, ont affirmé avoir vu le drone s’écraser. Finalement, l’exécutif a dû accepter l’idée et prendre des mesures… Les avions ont été interdits de voler en dessous d’un plafond de 4 000 mètres au niveau de la frontière danubienne avec l’Ukraine, et l’ambassadeur de la Fédération de Russie a été convoqué par les autorités roumaines, bien qu’il ne se soit pas présenté en personne. Il s’agit de mesures destinées à rassurer la population, à répondre aux attentes des alliés de l’Otan et, dans le même temps, à ne pas provoquer la Fédération de Russie. D’autant que Moscou a critiqué et menacé la Roumanie à plusieurs reprises pour le soutien apporté à l’Ukraine. La réaction de la Roumanie représente un compromis entre la nécessité de rassurer la population et le désir d’agir à l’unisson avec les autres États de l’Otan, sans oublier la volonté de ne pas provoquer de réaction extrême de la part de la Russie.
* L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Otan) est une organisation politico-militaire mise en place par les pays du Traité de l’Atlantique Nord, signé le 4 avril 1949, afin d’assurer leur sécurité. Elle a vu le jour dans le contexte du début de la guerre froide et regroupe principalement la plupart des pays de l’Europe occidentale et les États-Unis. Elle compte actuellement 31 membres. Son action s’étend désormais à différents théâtres d’opération dans le monde, et elle agit aussi contre le terrorisme international. Source : larousse.fr
Sachant que de tels incidents peuvent se reproduire, quelle pourrait être la meilleure attitude de la Roumanie à court et moyen terme ?
Tout d’abord, la Roumanie doit continuer à protester contre la Fédération de Russie en affirmant que de tels incidents sont inacceptables. D’autre part, elle doit maintenir ces restrictions de vol pour la sécurité des avions civils. Je crois que l’on a fait ce qu’il fallait, à commencer par la construction d’abris pour la population dans la région de Plauru (village du département de Tulcea, ndlr) et ses environs. Les habitants doivent pouvoir s’abriter et se sentir protégés par l’État. Par ailleurs, nous savons que les systèmes militaires ne détectent pas toujours les objets volants à très basse altitude. Les institutions chargées de la collecte de renseignements doivent donc faire davantage confiance à la population locale qui peut détecter plus facilement quelque chose d’inhabituel et alerter les militaires. Il faut maintenir un contact permanent et des mesures doivent être prises pour limiter les dommages et les accidents éventuels. Car, oui, il est possible qu’à l’avenir un drone détruise des biens matériels, ou même tue une ou plusieurs personnes. C’est déjà arrivé en Pologne, cela peut nous arriver. Mais cela ne signifierait pas automatiquement une déclaration de guerre de la part de la Fédération de Russie. N’oubliez pas que les Polonais sont plus anti-russes que les Roumains, et se sentent encore plus menacés par la Russie. Cependant, ils n’ont toujours pas franchi certaines limites.
L’un des chefs de l’armée roumaine a récemment déclaré que la Roumanie utiliserait toute sa force militaire pour défendre son territoire national. Que vous inspirent ces propos ?
C’est un message adressé à la Fédération de Russie afin qu’elle ne s’aventure pas en Roumanie, un territoire protégé par l’Otan ; pour bien lui faire comprendre qu’en cas d’attaque avérée, l’Alliance réagira fermement et contrera l’agression. Il est très important de transmettre ce message, car la position de l’Otan est fondée sur la dissuasion et la défense. Il ne doit donc y avoir aucune ambiguïté. La Russie doit comprendre très clairement ce qu’elle risque si elle attaque. D’autre part, c’est un message à la population, pour la rassurer et lui rappeler que nous faisons partie de l’une des alliances militaires les plus fortes de l’histoire. Il ne s’agit pas d’une déclaration inutilement agressive, mais il faut de la fermeté. Si la Russie perçoit de la faiblesse et de l’hésitation, elle pourrait se montrer encore plus agressive au niveau de la zone frontalière.
Propos recueillis par Carmen Constantin.