Après avoir explosé au milieu des années 2000 à la faveur d’un boom économique sans précédent, les investissements étrangers se sont fait de plus en plus rares en Roumanie. Mais la tendance est en passe de changer : plusieurs grandes compagnies ont annoncé ces derniers mois des projets de plusieurs centaines de millions d’euros, qui devraient apaiser un peu une économie assoiffée de capitaux.
En 2008, après une dizaine d’années de forte croissance économique, la Roumanie attirait 9,49 milliards d’euros d’investissements directs étrangers (IDE), un niveau record pour un pays qui avait été longtemps à la traîne des autres Etats d’Europe centrale et de l’est en raison de la lenteur des réformes. Mais les espoirs de dépasser la barre des 10 milliards furent vite douchés : l’arrivée de la crise économique et financière coupa l’appétit des investisseurs, et en 2009, les IDE s’élevèrent à peine à 3,48 milliards d’euros. Ce niveau décevant devait continuer à chuter, pour atteindre 2,2 milliards en 2010, 1,9 milliard en 2011, et 1,6 milliard en 2012.
Les quatre premiers mois de 2013 marquèrent un nouvel effondrement : 322 millions d’euros d’IDE, contre 494 millions pendant la même période en 2012. Le mois d’avril a néanmoins été porteur d’espoir, avec 111 millions d’euros investis, contre seulement 48 millions le mois précédent, et 21 millions en avril 2012. « La chute des investissements sur une période courte, trois ou quatre mois, n’est pas un bon indicateur des tendances à long terme », souligne l’analyste économique et ancien chef des privatisations sous le gouvernement libéral, Răzvan Orăşanu. « Mais ce qui est vraiment inquiétant, c’est que les investissements cumulés sur trois ans (2010, 2011 et 2012) n’atteignent pas le niveau de la seule année 2008 », ajoute-t-il.
Conseiller du Premier ministre Victor Ponta pour le milieu des affaires, Georgian Ghervasie se dit toutefois plus optimiste, et estime que les IDE pourraient s’élever à 2 milliards d’euros en 2013. « Nous constatons que l’Europe commence à attirer de grandes compagnies qui se dirigeaient auparavant vers l’Asie, et la Roumanie est bien placée pour profiter de cette nouvelle tendance », assure-t-il. Main-d’œuvre qualifiée et stabilité économique sont les atouts dont dispose le pays, estime M. Ghervasie, selon qui les secteurs les plus attractifs pour les entrepreneurs étrangers sont l’agriculture, l’énergie, la construction automobile et les infrastructures.
A en juger les annonces en cascade de grandes compagnies qui prévoient d’ouvrir des usines en Roumanie, ou de développer celles déjà en fonction, un regain de confiance dans le potentiel de l’économie roumaine semble en effet se faire jour. Les secteurs visés en priorité sont la construction automobile et les industries connexes ainsi que l’énergie. Et en tête de la liste des investisseurs arrivent les Allemands. Encouragé par la hausse des ventes automobiles, le géant Daimler a ainsi décidé d’investir 300 millions d’euros dans sa filiale Star Transmission de Sebeş (centre), plus gros investissement prévu jusqu’ici en Roumanie courant 2013. Il y produira des boîtes de vitesse pour les voitures Mercedes Benz et embauchera 400 personnes.
Un autre « major » allemand, Bosch, a choisi Cluj pour sa nouvelle usine, spécialisée dans les ensembles électroniques. Investissement prévu : 70 millions d’euros. Bosch vient également d’investir 50 millions d’euros dans une fabrique à Blaj (s’ajoutant à deux autres usines qu’il détient dans la même ville), où il produira des capteurs pour véhicules.
Leoni, autre grand groupe allemand, consolidera ses affaires en Roumanie en embauchant 500 personnes supplémentaires dans son usine de câbles d’Arad. Quant au producteur allemand de composants automobiles Continental Automotive, il inaugurera à l’automne une usine de pompes d’alimentation et de sous-ensembles à Ghimbav, près de Braşov, fruit d’un investissement de 40 millions d’euros. Le groupe prévoit par ailleurs d’investir 71 millions d’euros sur deux ans dans sa fabrique de pneus de Timişoara.
Verte ou conventionnelle, l’énergie est l’autre grand secteur qui attire les investisseurs. Le japonais Marubeni, avec des activités dans l’énergie et les infrastructures, a signé à la mi-juin un mémorandum avec Electrocentrale Bucarest pour la construction d’une centrale à gaz d’une capacité de 250 mégawatts, à Fântânele, dans le département de Mureş. Coût total du projet : 150 millions d’euros. L’américain Lufkin a pour sa part ouvert une usine d’équipements pétroliers à proximité de Ploieşti pour 140 millions de dollars.
La France, quatrième investisseur étranger en Roumanie après les Pays-Bas, l’Autriche et l’Allemagne, est elle aussi à l’affût d’opportunités sur le marché local, et vise notamment l’industrie mécanique, l’agroalimentaire, l’énergie et l’informatique, indique Adriana Record, directrice de la Chambre de commerce et d’industrie franco-roumaine (CCIFER).
Les autorités s’efforcent en outre de séduire les Chinois, en leur proposant de s’impliquer dans des projets énergétiques et d’infrastructures, dont la centrale hydro-électrique de Tarniţa – Lăpuşteşti, la modernisation des centrales thermiques vieillissantes, ou encore la construction des 3ème et 4ème réacteurs de la centrale nucléaire de Cernavodǎ.
L’informatique, secteur en plein essor en Roumanie, attire pareillement des capitaux importants. Le géant américain Oracle prévoit ainsi d’investir 100 millions d’euros dans un centre à Bucarest. Sans oublier le projet d’ériger une « Silicon Valley » à Cluj, qui bénéficie du soutien des Etats-Unis et devrait attirer 300 millions de dollars sur 15 ans. Les autorités locales cherchent en ce moment un terrain de 300 hectares pour ce projet, qui pourrait à terme employer 20.000 personnes.
S’il se félicite de ces « signes encourageants », M. Orăşanu souligne que le développement économique « ne doit pas se faire au hasard, ni dépendre de la seule volonté du bon Dieu (…). Le gouvernement doit mettre sur pied un plan de développement. Là où on investit dans les réseaux électriques et routiers, on peut s’attendre au développement de l’industrie lourde. Si on investit dans les réseaux téléphoniques, c’est l’industrie informatique qui va se développer. Pareil, si on investit dans le transport de l’électricité, ce sont les nouvelles sources d’énergie qui se développeront (voir le cas des parcs éoliens dans la région de Dobrogea, ndlr) », explique-t-il.
En outre, « nous devrions abandonner l’illusion qu’on peut développer toute la Roumanie en même temps. Comme la Chine qui a choisi de développer d’abord le sud puis le nord, nous devrions nous aussi nous concentrer d’abord sur l’ouest, qui est plus proche de l’Union européenne », insiste M. Orăşanu. Cela impose avant tout la construction d’une autoroute reliant la frontière à l’intérieur du pays, dit-il, rappelant qu’en raison de l’absence d’un tel axe, la Roumanie a perdu un investissement d’un milliard d’euros envisagé par Mercedes.
Mihaela Rodina (juillet 2013).