Entretien réalisé le vendredi 28 avril en fin de journée, au studio RFI Roumanie de Bucarest.
Pascal Dayez-Burgeon, historien français, s’intéresse aux empires et aux royautés. Il a notamment publié un livre sur Byzance en 2017, « Byzance la secrète » traduit il y a deux ans en roumain sous le titre « Secretele Byzanţului ». Cette année, son nouvel ouvrage s’intitule « Chasseurs de trône » (éditions Tallandier), où il est encore question de rois, de reines, de prétendants à la fonction suprême, et au sein duquel la Roumanie est mentionnée à plusieurs reprises…
Comment votre dernier ouvrage « Chasseurs de trône » est-il né ?
C’est un sujet que j’avais en tête depuis longtemps, qui tient aux nombreuses lectures que j’ai pu faire de l’histoire du 19ème siècle et du début du 20ème siècle, et notamment à cette découverte surprenante que beaucoup de nations qui sont apparues pendant cette période, compte tenu de l’émergence des mouvements nationaux, n’ont pas opté pour la république mais pour la monarchie. Pourquoi pas ? Mais au lieu de choisir un souverain national, la plupart de ces nations européennes se sont choisi un souverain étranger. Évidemment, cela ne pouvait pas marcher. Cette sorte d’aveuglement m’a beaucoup surpris et amusé. D’ailleurs, toutes ces monarchies ont échoué. Pour prendre l’exemple de la Roumanie, il est bien étrange d’être allé chercher un prince allemand – Charles de Hohenzollern, choisi par Napoléon III et proclamé Carol 1er, souverain de Roumanie, en avril 1866, ndlr. Cela ne pouvait pas fonctionner, la dynastie n’a jamais pu s’ancrer dans le cœur des peuples. Quant à Carol II – roi de Roumanie du 8 juin 1930 au 6 septembre 1940, ndlr –, il a dilapidé sa fortune et multiplié les liaisons. Il ne pensait qu’à lui et à ses conquêtes. Il n’était pas populaire et n’avait pas de compétences, ni de légitimité. Mais, parce qu’il était jeune et né fils de roi, il dirigea quand même le pays, jusqu’à ce que le général Ion Antonescu le renverse.
Les choses auraient peut-être été différentes si le roi Michel avait pu régner. Ses obsèques en décembre 2017 ont montré comment les Roumains y étaient attachés…
Certes, mais Michel n’a jamais pu faire grand-chose. Il est devenu roi à six ans étant donné que Carol 1er a déshérité son fils aîné et a choisi son petit-fils. Et à six ans, on ne décide pas. Il sera d’ailleurs renversé par son père, ce qui est tout de même incroyable. Avant de redevenir prince héritier, puis roi à 18 ans. Mais que voulez-vous qu’il fasse en pleine dictature ? Pendant la Seconde Guerre mondiale, il n’a aucune autorité. Après quoi, il est remercié, la révolution communiste mettant fin à la monarchie. Donc, de fait, il n’a rien fait. C’est d’ailleurs peut-être pour cela qu’il est resté très populaire. Étonnamment, on a eu la même situation dans les monarchies voisines. Il y a aussi eu un enfant roi en Yougoslavie, puis le communisme s’est imposé. Idem en Bulgarie, où Siméon II a accédé au trône à six ans pendant trois petites années, de 1943 à 1946, avant de revenir au pouvoir en tant que Premier ministre de 2001 à 2005. C’est tout de même assez surprenant comme destin. Quoi qu’il en soit, comment pouvait-on, au 20ème siècle, confier le pouvoir, un vrai pouvoir, pour des raisons héréditaires ? Ce n’est pas sérieux compte tenu de la conscience et de l’évolution culturelle des peuples. Et je pense que l’émergence du mouvement national est peut-être aussi liée à cela. Pour parvenir à toucher leur peuple, ces monarques sont allés chercher des symboles historiques du passé, ils ont essayé de restaurer la culture traditionnelle qui avait été détruite par tel ou tel envahisseur, de retrouver la langue des origines. Ils ont suscité une sorte de nationalisme dont ils ont été progressivement exclus ; au fond, ils ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis en essayant de créer un sentiment national. Progressivement, toutes ces monarchies ont échoué les unes à la suite des autres, sauf à de rares exceptions, comme la Belgique, par exemple, qui reste une monarchie tout en étant un État-nation républicain et démocratique. Ou l’Espagne, avec cet enracinement multiséculaire des Bourbons. Un enracinement de la monarchie qui n’a jamais existé dans les pays des Balkans.
Quelques mots sur votre précédent ouvrage « Byzance la secrète »… Quand vous regardez l’actualité des pays d’Europe centrale et orientale, comment ressentez-vous aujourd’hui encore l’influence byzantine ?
Au-delà de l’actualité, je ressens cette influence dans les paysages, le fait que dans tous ces pays, il y a encore des petites Sainte-Sophie, c’est-à-dire des églises à coupoles. Certaines d’entre elles sont devenues des mosquées, d’autres ont inspiré les mosquées. De fait, la mosquée de type turc ottoman est une petite église byzantine. La singularité de l’architecture byzantine est encore partout, je trouve que c’est assez touchant. Et puis il y a la religion orthodoxe, toujours très présente, avec cette idée d’une famille qui dépasse les frontières d’une nation. L’Empire byzantin était multinational, c’est un peu le début de l’aventure européenne. Au-delà de tous ces petits États avec leurs princes et leurs particularités, il y avait au sommet une entité qui trônait, à Constantinople. C’est sans doute aussi ça la modernité de Byzance. Enfin, il y avait cette idée que le commerce, les échanges, c’est tellement mieux que la guerre. Je trouve que Byzance a été considérée de manière totalement injuste et très lâche par l’Occident. Certes, parce que cet empire n’aimait pas faire la guerre, il a passé son temps à corrompre tout le monde. Mais ne pas faire la guerre, en définitive, ce n’est pas si mal. Lorsque des peuples issus du fin fond du Caucase et de Crimée attaquent Byzance, l’empire verse des sommes d’or colossales afin d’éviter les combats, et fait la paix en encourageant le commerce. Il y a là une sorte de vision pacifique des choses qui est intéressante, d’une certaine manière pré-européenne.
Propos recueillis par Olivier Jacques.
Note : les ouvrages de Pascal Dayez-Burgeon peuvent être commandés à la librairie Kyralina de Bucarest.