Liliana Lazăr est une romancière d’origine roumaine qui vit en France. Elle a écrit deux romans en français, Terre des affranchis (Gaïa, 2009) et Enfants du diable (Seuil, 2016)…
Qu’est-ce qui fait l’originalité de la littérature roumaine ?
Je n’aime pas faire de distinction, même si chaque littérature nationale a sa particularité. Concernant la littérature contemporaine, je pense qu’il y a une recherche de sens, les gens ont envie de comprendre, d’avoir un regard sur le passé récent ou l’actualité, comme dans le livre Luluţa şi Petrişor sau povestea cuiburilor părăsite de Nicoleta Beraru qui traite des familles séparées en Roumanie parce que les parents travaillent à l’étranger. Il s’agit là moins d’une littérature de fiction telle qu’on l’a connue autrefois. Pour revenir à votre question, la différence est surtout au niveau de la langue utilisée. L’un de mes coups de cœur de ces dernières années est La vie commence vendredi de Ioana Pârvulescu. Je l’ai d’abord lu en français, puis en roumain, et j’ai eu l’impression de le redécouvrir, de lire un autre livre, bien qu’il ait été superbement traduit. Nous n’avons certainement pas la même sensibilité dans chaque langue, celle-ci n’est pas faite que de mots, mais aussi d’émotions difficiles à décrire qui font que nous ne sommes pas touchés de la même façon.
Vous vivez en France et écrivez en français, mais vos intrigues se passent en Roumanie. Comment ce pays vous inspire-t-il ?
Il est vrai que je ne placerais pas une intrigue au sein du cadre dans lequel je vis, en France, cela me parle moins. Je me sens ici tout à fait à ma place, mais peut-être que j’apprivoise mieux les lieux connus de ma jeunesse. Je n’avais pas non plus prévu d’écrire un livre sur le communisme, mais il se trouve que mes deux romans sont inspirés de cette période dont j’ai beaucoup de souvenirs. L’histoire est écrite par les historiens mais elle est aussi faite par chacun d’entre nous. On a tous une sensibilité, des choses à dire mais pas dans le même domaine, pas de la même façon. Le communisme est de moins en moins tabou, il y a une parole qui s’est libérée. Je pense aussi qu’il faut attendre un certain temps afin d’avoir du recul pour écrire. On le voit aujourd’hui avec la pandémie, le confinement, il y a tellement de témoignages, de choses qui vont rester, d’autres pas. Seul le recul permettra un regard d’ensemble. Quoi qu’il en soit, plus les témoignages sont multiples, mieux c’est. J’essaie d’éviter la pensée et le regard uniques.
Quel est justement le rôle de la littérature pendant cette période ? Est-ce un moment propice à l’écriture ?
La littérature a certes un rôle de divertissement, mais elle a aussi un rôle social parce qu’elle crée du lien et de la réflexion. Elle nous rappelle que nous sommes mortels, qu’il ne faut pas se prendre trop au sérieux. Elle permet aussi d’avoir un regard sur l’humanité et de relativiser, de ne pas tout prendre pour argent comptant, quelle que soit la période. Après, je ne peux pas dire que le confinement soit une période idéale pour l’écriture. Il faut une certaine liberté pour écrire. Selon moi, c’est davantage un moment de réflexion, sur la liberté justement, et sur comment apprivoiser nos peurs et nos angoisses pour mieux avancer.
Propos recueillis par Marine Leduc.