C’est une grande comédienne de théâtre, mais elle se préfère en auteur. Les pièces écrites par Lia Bugnar séduisent toujours plus un public avide d’histoires sur le quotidien, les sentiments, drôles surtout, sans grand décor mais avec des acteurs épousant sincèrement leur texte. L’une de ses dernières pièces, Noi4 (Nous4), aura été jouée deux fois au festival international de théâtre de Sibiu (25 mai – 3 juin). Lia Bugnar vient par ailleurs de présenter en première Melcul din Oberhausen (L’escargot d’Oberhausen), précisément à Oberhausen, en Allemagne. Rencontre avec une artiste intègre, authentique, amène et gracieuse.
Le rendez-vous fut pris au numéro 120 de Calea Victoriei, dans un lieu unique à Bucarest, le Green Hours, accueillant les meilleurs musiciens de jazz du pays, mais aussi ses grands (et plus petits) comédiens. C’est ici que Lia Bugnar a l’habitude de présenter ses dernières pièces de théâtre. Elle dit s’y sentir très à l’aise, comme chez elle. De fait, la conversation est souvent interrompue par quelqu’un qui la connaît et vient lui dire bonjour. Une conversation d’abord sur le théâtre, mais aussi sur sa vision des « choses » de la vie…
Regard : Vous avez déclaré dans un entretien récent que le théâtre était pour vous comme un hobby. Pensez-vous qu’une certaine distance, un peu de détachement est nécessaire pour être une bonne comédienne ou une bonne auteur ?
Lia Bugnar : Etre une bonne comédienne ou une bonne auteur reste pour moi un idéal. Ce que j’ai surtout voulu dire, c’est que mon travail m’apporte beaucoup de plaisir. Et je n’oublie pas que j’ai de la chance de pouvoir en vivre.
Vous dites par ailleurs que vous n’aimez pas écrire, que vous préférez lire. Cependant vos textes ont du succès, comment faites-vous ?
Je ne sais pas. Je me concentre pourtant de la même façon dans tout ce que je fais. Mais il est vrai que d’autres choses ne donnent pas le même résultat, c’est comme ça.
Qu’est-ce qui vous attire chez un comédien, ce que vous attendez, quelles qualités correspondent le mieux à ce que vous écrivez ?
Son état de liberté, de liberté sur scène. Il s’agit d’une liberté très particulière, paradoxale, avec des limites bien définies mais qui reste pourtant infinie. Certains comédiens, ce ne sont pas les plus nombreux, sont dans cet état de façon naturelle. D’autres l’acquièrent en répétant beaucoup, en étant très attentifs. J’aime les deux variantes. Les qualités qu’un comédien doit avoir pour jouer une pièce que j’ai écrite ?… Il faut que je l’admire un peu, et que je l’aime encore plus. Je ne fais du théâtre qu’avec des amis.
Rêvez-vous parfois d’être une actrice, une metteur en scène ou une auteur de renommée internationale ?
Franchement, ce qui m’intéresse est avant tout d’avoir une salle pleine de spectateurs. C’est tout. Dans mon cas, ce n’est pas très difficile, étant donné que la plupart de mes spectacles se jouent au théâtre du lundi de la Green Hours (Teatrul luni, au 120 de Calea Victoriei à Bucarest, ndlr). Et la capacité n’y est que de 80 personnes maximum. Par ailleurs, je vois et je considère un spectateur de Paris de la même façon qu’un spectateur de Calea Victoriei.
Considérez-vous que certains comédiens ou metteurs en scène occidentaux sont un peu trop prétentieux, vous qui appréciez les rapports simples entre les gens ?
Je ne sais pas, je ne les connais pas vraiment, j’en ai rencontré que rarement, et pas suffisamment longtemps. Mais je n’ai rien perçu de particulier, la seule différence est qu’ils habitent ailleurs. De quoi avez-vous besoin dans votre travail en ce moment ? De spectateurs. Au théâtre, on n’a pas besoin d’autre chose. Sans eux, rien ne se passe.
La Roumanie actuelle vous satisfait-elle en tant que comédienne et auteur ?
Je ne peux pas me plaindre, ça va. J’ai ce que je mérite, et même un peu plus. Ce que je souhaiterais ? J’aimerais aller au théâtre en bicyclette sans avoir peur des chiens. Pour le reste, c’est bien comme ça.
Que pensez-vous du cinéma roumain ?
Je crois qu’il faudrait sortir de notre moule, et faire un cinéma plus large,moins centré sur nous, sur notre passé récent notamment. Jusqu’à présent, et à quelques rares exceptions, on ne fait pas du vrai cinéma, un cinéma qui parfois peut faire rêver, un cinéma qui montre aussi de belles choses et pas seulement la misère. Un cinéma éclectique, ample…
Pensez-vous que les politiques devraient penser davantage à la culture qui a tendance à passer toujours au deuxième plan ?
Selon moi, les politiques ne sont pas une espèce à part. Ce sont juste des hommes avec des professions un peu étranges et plutôt ambiguës. C’est mon sentiment. Et je n’ai aucune idée de la place qu’ils donnent à la culture. Ce que je vois, c’est qu’il y a pas mal de théâtres et que les salles sont pleines. Si vous comparez ce fait avec la façon dont fonctionne la plupart des choses dans ce pays, je ne crois pas que la culture soit la plus mal lotie. Quoi qu’il en soit, mes pièces ne coûtent presque rien, il ne s’agit que d’histoires jouées par de bons acteurs. Récemment nous n’utilisons presque plus de décor. Les spectateurs sont tout autant charmés par un spectacle très cher que par un spectacle qui n’aura pas coûté un sou, à partir du moment où ce qu’on leur montre est bon et que ces spectateurs ne se sentent pas trompés. Ceci étant, le manque d’argent pousse souvent à offrir davantage, en termes artistiques. Par ailleurs, celui qui dit qu’il ne fait pas de théâtre parce que cela ne rapporte pas assez d’argent ne désire certainement pas vraiment exercer ce métier.
Ce qui vous plaît et vous déplaît en Roumanie ?
Pour moi, c’est un pays comme un autre, celui où je suis née et où je vis. De toute façon, chacun se construit son petit monde autour de lui, et c’est surtout dans ce monde que nous vivons. Plus généralement, ce que je n’aime pas dans ce pays, c’est la saleté. Et ce n’est pas une métaphore, je fais référence aux poubelles, aux toilettes publiques, et même aux maisons. Ce qui me plaît en Roumanie ? C’est que je suis ici chez moi.
Quels sont les traits de caractère que vous appréciez chez les Roumains et qui peuvent vous inspirer dans votre travail ?
Il n’y a rien qui m’impressionne chez les Roumains. Je suis moi-même roumaine, c’est quelque chose de naturel, je n’y pense pas. Et mon travail de création n’est pas ancré géographiquement. L’homme au sens large est le personnage principal dans tout ce que j’écris, et non pas le Roumain. D’après moi, les Roumains sont aussi différents des autres peuples qu’ils sont différents entre eux. Je ne considère par les Roumains comme un tout. Si je prends deux de mes amis, ils sont aussi distincts l’un de l’autre qu’un escargot et une girafe. Je suppose que c’est valable pour le reste de la population.
Comment voyez-vous le monde occidental ? Fatigué, frénétique, stressé ?
Je pense que les différences entre les pays à ce niveau-là ne sont pas vraiment visibles. Les gens d’autres pays font quotidiennement plus ou moins la même chose que ce que nous faisons nous, ici. Le pays où l’on se trouve n’a pas d’importance, c’est la façon dont on occupe chaque minute, chaque heure, chaque jour ou semaine de notre vie qui est importante. Peut-être que d’autres pays ont des rues et des immeubles mieux soignés, mais les gens restent des gens, où qu’ils soient.
Vous sentez-vous révoltée ? Ou bien pensez-vous que c’est inutile ?
Si quelque chose me révolte, j’essaie d’y remédier, c’est tout. Mais je ne me sens pas révoltée de façon continue envers quelque chose en particulier, je ne sais même pas comment on peut y arriver. Quand quelque chose me dérange, je le dis très clairement afin que cela ne me dérange plus à l’avenir. Chacun gère sa vie à sa manière. Pour le reste, pourquoi me révolter ? Je fais ce qui me plaît, je m’entoure de personnes qui me plaisent, et je vis exactement comme j’ai envie de vivre. Donc, pour revenir à votre question, je pense que oui, me révolter serait inutile. Je crois qu’il suffit d’essayer d’arranger les choses de sa vie du mieux possible. Quand je n’y réussis pas, je considère que c’est de ma faute. Et je l’accepte.
Quels ont été vos deux, trois derniers projets, et quel message avez-vous voulu transmettre à travers eux ?
Je n’ai jamais l’intention de transmettre un quelconque message. Je travaille avant tout pour être proche de mes amis, de la scène, des répétitions. C’est comme ça que j’écris mes textes, avec cette impatience des retrouvailles, et c’est aussi la raison pour laquelle je dis que le théâtre est pour moi comme un hobby. Aucun message à transmettre donc, d’autant plus que les spectateurs sont des personnes que je ne connais pas. Je ne fais qu’écrire des histoires que je mets en scène, c’est tout. Mon seul souci est de distraire le public, et que certains n’aient pas la sensation d’avoir perdu leur temps et payé leur billet pour rien. Parmi mes derniers projets, il y a le spectacle Fata din Curcubeu (La fille de l’arc-en-ciel), un one-woman-show que j’ai écrit et mis en scène, et dans lequel joue Tania Popa, une comédienne qui m’a bouleversée au-delà de ce que je pouvais imaginer. Puis Noi4 (Nous4), une pièce que j’ai également écrite, mise en scène par mon amie Dorina Chiriac. Et la plus récente, O piesă deşănţată (Une pièce déchaînée), toujours mise en scène par Dorina. Moi-même, je joue dans Noi4 et O piesă deşănţată, je m’amuse beaucoup, d’autant que dans ces deux spectacles, il y a des comédiens que j’admire et qui sont aussi mes amis.
Dernière question… Quels sont vos projets sur le plan personnel, plus de voyages, de rencontres ?
J’ai réalisé qu’il fallait être d’un optimisme désarmant pour pouvoir faire des projets. Donc, je n’en fais pas. Je préfère vivre chaque instant, le plus intensément possible, comme le dit l’un des personnages de ma dernière pièce. Les voyages ? Je suis plutôt casanière. Et pour ce qui est de rencontrer de nouvelles personnes… J’ai souvent la sensation de ne pas assez m’occuper des gens que je connais déjà, donc… Mais quand quelqu’un doit rentrer dans ma vie, il y rentre, qu’il y soit invité ou pas. L’univers s’occupe de ces choses.
Propos recueillis par Laurent Couderc (mars 2013).