Pour la sixième année consécutive, Paris a accueilli le Salon du livre des Balkans qui s’est tenu les 27 et 28 mai derniers. Rencontre avec Pascal Hamon, l’un des fondateurs de l’événement.
Regard : Comment ce salon a-t-il vu le jour ?
Pascal Hamon : Au début des années 1990, lorsque les Balkans ont commencé à s’ouvrir, j’étais déjà fonctionnaire au ministère de la Culture. À cette époque, on m’avait demandé de mettre en place une coopération culturelle avec l’Albanie, un pays où la francophonie était bien présente. Par le biais de l’association Albania, créée en 1997, nous avons alors développé des projets culturels en France mais aussi là-bas. Puis, vu les événements dans la région, les guerres et la création du Kosovo, on a élargi progressivement notre zone d’intérêt aux pays alentours. En 2009, nous avons pris conscience qu’il existait de nombreux festivals sur les Balkans mais qu’aucun n’était dédié à la littérature. C’est ainsi que nous nous sommes lancés.
Qui vous conseillent dans le choix des auteurs et des textes ?
Notre équipe est très liée au lieu qui héberge le salon, l’Institut national des langues et civilisations orientales de Paris. Nous prenons donc conseil auprès des traducteurs, des professeurs et des directeurs de collection qui y travaillent. Et nous essayons de choisir des thèmes peu traités, de montrer les Balkans autrement et d’inviter des auteurs peu ou pas assez connus. Par exemple, cette année, nous avons choisi de mettre un coup de projecteur sur Thessalonique parce qu’on s’est rendu compte qu’il était extrêmement difficile d’avoir des informations en français sur cette ville grecque passionnante.
Peut-on regrouper les auteurs des Balkans sous une spécificité particulière ?
Dans cette région, il existe une floraison de récits dans des domaines si variés qu’il est difficile de parler de spécificité. Par contre, il y a une caractéristique qui est commune à beaucoup d’entre eux : l’omniprésence de l’histoire. Dans ces œuvres, on retrouve un certain regard sur des périodes historiques. Dans plusieurs romans, j’ai été frappé de constater que l’histoire revêtait parfois la même importance que les personnages. Les notions de frontière ou de pont sont aussi très présentes.
Et au niveau de la forme, des styles d’écriture ?
Dans tous les Balkans, l’importance de la poésie est notoire. C’est vraiment quelque chose de spécifique, d’original, notamment par rapport à l’Europe de l’Ouest. De fait, la poésie découle de la forme traditionnelle de circulation des histoires qui étaient racontées par les rhapsodes. Ces conteurs sont typiques de la Grèce antique mais se retrouvent aussi dans d’autres pays des Balkans. Cette culture orale a progressivement été transcrite à partir du 19ème siècle. Aujourd’hui, beaucoup de romanciers balkaniques sont aussi ou ont été poètes. Ils utilisent régulièrement le registre poétique en parallèle avec le roman, ce qui n’est pas commun pour des écrivains.
Dans quel état se trouve le marché de la littérature dans les Balkans ? Les écrivains arrivent-ils à vivre de leur métier ?
Depuis Paris, j’ai seulement un aperçu de la situation. Je dois d’abord revenir sur un point important. Dans les pays des Balkans, à l’époque communiste, le système des droits d’auteur n’existait pas car les auteurs étaient salariés des maisons d’édition. Par exemple, en Albanie, nous avons participé à la création du système des droits d’auteur qui se base sur le modèle français. Car après l’effondrement du communisme, la question de savoir comment vivre de son œuvre s’est posée de manière cruciale. La période de transition fut très difficile au niveau économique. Bien qu’il existait une liberté totale pour lancer des maisons d’édition et pour la création littéraire, en parallèle, la société s’est rapidement paupérisée, le tirage de livres s’est effondré. Aujourd’hui, cela va un peu mieux, même si les auteurs balkaniques ne sont pas les plus à la mode. Depuis quelques années cependant, certaines maisons d’édition françaises traduisent ces auteurs. Le développement de l’attrait touristique pour les Balkans a aussi favorisé l’intérêt des lecteurs et donc des éditeurs pour cette région et sa littérature.
Y a-t-il suffisamment de traducteurs ?
Chaque année, lorsqu’on réfléchit au programme du salon, nous avons l’agréable surprise de constater que beaucoup de nouveaux textes ont été publiés en français et même primés. Il y a une vraie richesse au niveau de la production, et bien souvent les traducteurs jouent un rôle important. Je suis admiratif devant le travail de défrichage qu’ils accomplissent eux aussi, en traduisant des auteurs sans être sûrs qu’ils seront publiés. Malheureusement, il est difficile pour certains écrivains de trouver des maisons d’édition malgré leur qualité certaine. De manière générale, les écrivains des Balkans ont besoin de beaucoup de temps pour se faire connaître et être reconnus à l’étranger.
Ces auteurs bénéficient-ils d’une bonne image dans leur pays ?
On remarque que ceux qui ont émigré n’ont pas forcément bonne presse. Je pense qu’il existe toujours une sorte de rivalité et de jalousie entre ceux qui sont restés, et qui ont dû faire face à beaucoup de difficultés, et ceux qui sont partis. Même si ces derniers ont été confrontés à des problèmes différents, comme la question de la langue d’écriture ou du déracinement.
Comment voyez-vous l’évolution de votre salon ?
Nous avons l’intention d’intensifier les partenariats avec des festivals similaires. Cette année, nous avons par exemple accueilli l’équipe de la Biennale des carnets de voyage de Clermont-Ferrand. Lors du salon, l’écrivain roumain Matei Vișniec a aussi évoqué l’idée de décentralisation culturelle, c’est-à-dire l’éclosion d’initiatives culturelles dans toute l’Europe centrale. C’est une bonne nouvelle, nous avons envie de prendre contact et de créer des liens avec des festivals européens, tels que la foire du livre de Tirana (Albanie), celle de Thessalonique, ou encore le festival de Bande dessinée de Sibiu. Cela nous permettra d’aller directement à la source pour dénicher de nouveaux talents.
Sélection de « lectures balkaniques » recommandées par Pascal Hamon :
Albanie : La dernière page de Gazmend Kapllani, chez Intervalles (2015).
Bulgarie : Un jour près de Sofia de Emma Vakarelova, chez Nomades (2013).
Bosnie-Herzégovine : Manuel d’exil de Velibor Čolić, chez Gallimard (2016). Roumanie : Le marchand de premières phrases de Matei Vișniec, chez Acte Sud (2016). Slovénie : Cette nuit, je l’ai vue de Drago Jančar, chez Phébus (2014).
Note : L’auteur roumain George Arion a remporté le Prix du public 2016 au Salon du livre des Balkans pour son roman Cible royale, paru en 2014 chez Genèse Edition (voir l’article sur George Arion dans le précédent numéro de Regard, page 78).
Propos recueillis par Julia Beurq (juin 2016).