Diverses entités spécialisées dans le micro-crédit ont le vent en poupe en Roumanie. Elles couvrent notamment le monde rural, et permettent à certains de développer leurs activités agricoles, non sans risque cependant. Reportage.
Marin reçoit chez lui à vidra, petite bourgade à une dizaine de kilomètres au sud-est de Bucarest. Une maison qu’il a bâtie de ses propres mains avec les membres de sa famille. « Mes revenus en tant qu’agriculteur m’ont permis de construire petit à petit cette maison », explique-t-il. Mais seul le rez-de-chaussée est pour l’instant terminé. De la fenêtre, on aperçoit 9000 m2 de terres qui lui appartiennent.
« Grâce au prêt consenti par Patria Credit, j’ai notamment pu installer des serres. » Essentielles dans la plaine du Danube où les hi-vers sont longs. Les choux, les pommes de terre et les salades peuvent donc continuer à pousser à l’abri du froid et des vents mauvais. Marin possède 4000 m2 de solarii (serres) et 5000 m2 de cultures en plein air. Au départ, il n’avait que quelques centaines de m2… « Ici, si tu veux faire quelque chose, il n’y a guère que la possibilité d’emprunter à ton voisin. J’ai fait ça moi aussi, jusqu’au jour où une agence Patria Credit s’est montée dans le village. Je suis allé les voir et ils m’ont aidé. » Résultat, aujourd’hui Marin vend ses légumes – en grosse quantité – tout au long de l’année aux supermarchés Mega Image.
Marin a rendez-vous ce matin chez Patria Credit. Installée en « centre-ville », l’agence se fond parfaitement dans le paysage.
« Nous voulions nous intégrer au mieux, que les villageois sentent que Patria Credit est un endroit qui leur ressemble », explique Florin Neagu, directeur régional de Patria Credit pour le sud-est de la Roumanie. La « maison Patria », comme il se plaît à la nommer, est en bois avec de jolies fleurs plantées devant l’entrée. Mais une fois à l’intérieur, on est bel et bien là pour parler affaires. Marin a déjà un crédit pour lequel il lui reste encore à payer 150 euros par mois sur un an. « Je l’ai contracté pour acheter plus de terres et installer les serres. Cette fois-ci, je veux un tracteur. » On discute puis très vite, les résultats de la simulation pour le tracteur tombent : Marin devra payer 234 euros pendant trois ans en plus de son apport de base. Soit un prêt à un taux de 8,9%. Florin reprend : « Marin dispose de davantage de garanties qu’un client ordinaire. Il a déjà un capital de départ, et puis il nous a toujours payé à échéance. D’habitude, nous pratiquons des taux plus élevés : en moyenne entre 10 et 13%. » En tout, Marin devra débourser près de 400 euros par mois sur un an pour les deux crédits. Une grosse somme et sans doute des problèmes pour joindre les deux bouts, mais il s’estime verni… « Mes voisins vont tous vouloir un tracteur », s’amuse-t-il.
Direction Bucarest, dans le bureau de Bogdan Merfea, directeur général de Patria Credit Roumanie. La société compte plus de 6000 clients en Roumanie et 42 agences locales, surtout en milieu rural. Il explique : « Cette clientèle présente moins de garanties de par la faiblesse de ses revenus. Il faut aussi faire un gros travail de fonds pour les informer de ce qu’est un crédit. Cela prend du temps. C’est donc moins intéressant pour une banque. » Mais les bénéfices sont bien là, Patria Credit est d’ailleurs la première institution de microfinance en Roumanie en termes de chiffre d’affaires. Au départ, en 1996, ce projet fut le fruit d’une collaboration entre un fonds de pension américain et la Banque européenne pour la Reconstruction et le Développement. « Nous ne sommes pas le bon samaritain, reprend M. Merfea. Nous générons du profit mais nous soutenons aussi le développement local et avons un réel impact économique et social. Nous aidons des micro-entreprises, des producteurs agricoles et des personnes physiques qui, grâce à nous, peuvent démarrer une activité. » Conséquence, les grandes banques étrangères commencent elles aussi à s’intéresser plus sérieusement au micro-crédit.
D’après Valentin Ionescu, économiste, « tout a été fait au niveau législatif pour encourager leur apparition. Nous sommes l’un des rares pays européens à fixer un cadre si favorable pour ces institutions ». Et chez Patria Credit, on se défend de proposer des taux de remboursement trop élevés… « Nous sommes les seuls à proposer des moyens de financement aux moins argentés, il faut bien amortir les risques », insiste M. Merfea. Reste qu’en moyenne un micro-crédit s’élève à 7000 euros en Roumanie contre 5000 euros en France. Le salaire moyen net local n’est pourtant que de 350 euros par mois. A noter que 98% des entreprises roumaines sont des micro-entreprises, le marché est donc juteux.
Le micro-crédit est un prêt, d’un montant faible, à des entrepreneurs ou des particuliers qui ne peuvent accéder aux prêts bancaires classiques. Il s’est surtout étendu dans les pays en développement durant ces dix dernières années. C’est le professeur d’économie bangladais Muhammad Yunus et la banque qu’il a créée, la Grameen Bank, qui sont à l’origine de la croissance rapide du micro-crédit. En 2006, celui-ci a notamment été récompensé par le prix Nobel de la paix. Ceci étant, les taux pratiqués par les organismes de micro-crédits sont élevés, entre 10 et jusqu’à 30% par an. Et dans certains pays, en Inde par exemple, des milliers de paysans se sont retrouvés encore plus pauvres qu’avant, endettés jusqu’au cou. Le débat entre économistes sur le bienfondé du micro-crédit continue donc, même s’il se pratique de plus en plus dans les pays riches, où il constitue un moyen de lutter contre l’exclusion bancaire. Selon l’économiste Valentin Ionescu, « il y a environ 250 institutions en Roumanie qui font du micro-crédit. Certaines sont même très anciennes à l’image des Case de ajutor reciproc (Maisons d’aide réciproque, ndlr), qui existent depuis plus de cinquante ans. Mais elles s’adressent surtout aux retraités et aux salariés qui mutualisent leur argent pour pouvoir à tour de rôle acheter des biens de consommation. On est là bien loin de ce que font actuellement les spécialistes du micro-crédit tels Patria Credit ».
Benjamin Ribout (mars 2013).