Alors qu’aux Etats-Unis et en Europe occidentale les monnaies électroniques, virtuelles ou encore dénommées « crypto-monnaies » oscillent entre vif intérêt et craintes (voir encadrés), en Roumanie le phénomène en est à ses balbutiements. Entretien avec Horia Cocheci, un programmeur qui a mis sur pied le premier crypto-fonds d’investissement.
Regard : Depuis combien de temps connaît-on les crypto-monnaies en Roumanie ?
Horia Cocheci : Cela fait environ trois ans qu’on en parle. Il s’agit surtout d’une préoccupation de jeunes, en particulier de ceux qui s’intéressent aux innovations de tout type. Le bitcoin par exemple (la monnaie virtuelle la plus connue, ndlr), est devenu très populaire suite aux fortes fluctuations de sa valeur. A ses débuts – en 2009, 2010, ndlr –, en quelques mois, il est passé de 30 centimes à 10 dollars, puis de 30 dollars à 100 dollars et ainsi de suite. Mais le bitcoin est surtout devenu célèbre quand il a atteint sa valeur maximale de plus de 1 000 dollars en 2013, dépassant l’once d’or. Depuis, il s’est stabilisé mais reste très élevé. Début décembre par exemple, un bitcoin valait un peu plus de 300 euros.
Comment définiriez-vous le bitcoin ?
C’est tout simplement un autre moyen de paiement qui permet l’achat de produits sans coût de transaction, indépendamment d’un émetteur central. Le bitcoin est une monnaie qui fonctionne grâce à un réseau d’utilisateurs via Internet. A l’heure actuelle, plus de dix millions de bitcoins sont en circulation. Le nombre maximum de bitcoins qui peuvent être mis en circulation est d’environ 21 millions, ce chiffre sera atteint dans les années à venir. Actuellement, il y en a déjà 12,5 millions.
Qui produit les bitcoins ?
Des logiciels complexes qui identifient chaque bitcoin depuis sa création, et suive son parcours. Le bitcoin, comme les autres monnaies virtuelles – il en existe autour de 300, ndlr –, peut être acheté en ligne selon sa valeur du jour. Pour cela, il faut simplement créer un compte et un portefeuille électronique. La valeur du bitcoin naît du consensus de cette communauté d’utilisateurs, comme sur n’importe quel marché libre.
Il existe depuis peu un distributeur de bitcoins à Bucarest…
Oui, il se trouve près de Piaţa Unirii et joue surtout un rôle démonstratif. Mais on peut y virer une certaine somme de bitcoins et retirer des lei, selon le taux de change du jour. En Ecosse, il y a tout un réseau de distributeurs automatiques de bitcoins. Et aux Etats-Unis, via notamment la société Coinbase, la plus populaire des plateformes d’échange de bitcoins, des personnes sont même rémunérées dans cette monnaie.
Depuis un an, vous avez créé un fonds d’investissements en crypto-monnaie. De quoi s’agit-il ?
D’investir dans des crypto-monnaies. Nous sommes une équipe de cinq consultants et nous proposons des crypto-tickets de différentes valeurs et de différentes durées. A la fin d’un contrat, nous proposons un rendement de 20%. Mais à partir de l’année prochaine, ce taux sera revu à la baisse à cause des fluctuations importantes de ce marché qui reste pour l’instant très volatile.
Combien de personnes ont jusqu’à présent investi dans ces crypto-tickets ?
Nous gérons pour l’instant une vingtaine d’investisseurs. Ce n’est pas beaucoup parce qu’il est difficile d’avoir confiance en quelque chose qui n’est pas reconnu ni réglementé en Roumanie. Il n’y a aucun moyen de contrôle. Mis à part les investissements dans des crypto-monnaies, nous utilisons également les crypto-tickets pour des investissements réels, comme cette plantation de noyers sur deux hectares que nous avons récemment acquise. Au bout de quatre ans, nous pourrons garantir aux investisseurs un retour sur l’investissement disponible soit en lei, soit en crypto-monnaie. En parallèle, nous essayons de faire un travail de communication, car moins de 1% des Roumains connaissent les crypto-monnaies. Nous sommes en train de mettre en place sur notre site (www.cryptocoins.ro, ndlr) un blog afin de répondre aux questions des personnes intéressées. Une rubrique actualités internationales est déjà en ligne.
Quel avenir attend les crypto-monnaies ?
Je pense que d’ici dix ans, ce qui aujourd’hui apparaît comme un caprice deviendra monnaie courante, c’est le cas de le dire. Nous sommes un peu dans la même situation que ces jeunes passionnés qui tiraient des fils pour brancher leur quartier à Internet dans les années 1990. Ils apprenaient sur le tas, sans se rendre compte du boom qui allait suivre. Ces jeunes-là sont aujourd’hui les directeurs et les spécialistes des deux premiers fournisseurs d’accès Internet en Roumanie.
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L’origine du bitcoin
Le bitcoin est une devise virtuelle qui a été créée en 2009 par un développeur non identifié utilisant le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. A son lancement, il ne valait que quelques centimes de dollar. Deux ans après, il atteignait la parité avec la devise américaine. Puis, le 29 novembre 2013, la valeur à laquelle s’échangeait un bitcoin dépassait symboliquement le cours d’une once d’or. Le maximum historique atteint par cette devise virtuelle face au dollar américain est de 1 163 dollars.
Le bitcoin et la BNR
Selon la Banque nationale de Roumanie (BNR), les monnaies électroniques et notamment le bitcoin ne sont pas considérées comme des devises à part entière et ne peuvent donc pas être utilisées sur le marché financier. La BNR précise par ailleurs que sur le territoire roumain, le paiement des biens et des services peut s’effectuer uniquement en lei, la monnaie nationale. Il existe pourtant quelques restaurants ou des sites Internet où l’on peut payer avec des bitcoins. Et récemment, le magasin d’équipements photos en ligne F64 (www.f64.ro) a introduit le bitcoin comme moyen de paiement.
Une panacée ?
EBay, le géant mondial du e-commerce, a annoncé cet automne qu’il autorisera dans quelques mois le paiement en bitcoins sur son site. Une référence de taille pour cette monnaie virtuelle. Le service de paiement sécurisé d’eBay, PayPal, deuxième réseau de paiement en ligne au monde, devrait donc accepter les transactions en bitcoins de la part de plus de 150 millions d’utilisateurs d’eBay. Mais les bitcoins ne sont pas exempts de controverses. D’aucuns critiquent l’anonymat des transactions et des possibilités ainsi offertes aux opérations illicites. En février dernier, MtGox, l’une des plus anciennes plateformes d’échanges de bitcoins, a dû fermer suite à des suspicions de détournement.
Propos recueillis par Mihaela Cărbunaru (décembre 2014).