Entretien réalisé le mardi 14 mai dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Coordinatrice de la lutte contre la corruption au sein du groupe de réflexion Expert Forum, Laura Ştefan détaille en quoi l’action de la Direction nationale anti-corruption, la DNA, semble actuellement en perte vitesse…
Qu’en est-il de la lutte contre la corruption en Roumanie ?
Au regard des enquêtes journalistiques, nous constatons que le niveau de corruption n’a pas diminué de manière significative. Il existe toujours des fiefs locaux où les maires font presque tout ce qu’ils veulent, sans aucune forme de contrôle et sans être inquiétés d’une manière ou d’une autre pour leur conduite ou leurs actes (1). Certes, les événements des années 2016, 2017 et 2018 ont laissé des traces sur la manière dont le système judiciaire réagit désormais, ainsi que du point de vue des enquêtes menées contre les fonctionnaires corrompus. Pendant cette période, des affaires que je qualifierais d’importantes ont été menées à leur terme. Mais il faut bien admettre que ces derniers temps, cela s’est relativement calmé. La Direction nationale anti-corruption n’a pas réellement mené d’enquêtes à grande échelle, et son action n’a été que peu médiatisée. Cela contribue à rendre la corruption moins visible, c’est indéniable. Il y a aussi sans doute une certaine retenue de la part du système judiciaire après les changements intervenus concernant les lois sur la justice (2).
(1) Voir l’enquête de Recorder sur les investissements immobiliers du maire de Sinaia indiquée à la fin de l’infolettre, suite aux entretiens.
(2) Les lois sur la justice ont été amendées par le Parlement en 2022. Selon un rapport d’Expert Forum, les lacunes de la nouvelle législation concernent principalement deux aspects : l’attribution sans concours de certains postes à responsabilités, ainsi que les prérogatives des magistrats du Parquet leur permettant d’annuler d’éventuelles actions des procureurs subordonnés.
La DNA reste-t-elle pertinente ?
Une telle structure a en soi toujours sa place dans le contexte roumain. La DNA est un acteur incontournable dans le domaine de la mise en œuvre des politiques anti-corruption et de la lutte contre le phénomène. Je pense qu’il est nécessaire que la DNA se revitalise et retrouve un second souffle. Comment ? En menant des enquêtes d’envergure visant de hauts fonctionnaires. Les dommages causés par la modification des lois sur la justice sont, d’après moi, réels et durables, et cela marque considérablement la façon dont les magistrats font leur travail aujourd’hui. Ici, je fais référence au fait qu’avec les nouvelles lois, les politiciens ont surtout démontré que s’ils tombaient tous d’accord, il n’y avait alors plus aucune garantie que la législation en matière de lutte anti-corruption mène à des résultats concrets. En d’autres termes, le cadre législatif et institutionnel s’est affaibli, et c’est en soi inquiétant. Tout cela laisse des traces indélébiles, d’autant que le système judiciaire se caractérise par une très forte mémoire institutionnelle.
Dans ce contexte, la clôture du Mécanisme de coopération et de vérification pour la Bulgarie et la Roumanie (MCV, ndlr) en septembre dernier vous paraît-elle une bonne idée ?
Je dirais que le MCV a atteint son objectif, mais aussi ses limites. Il s’agissait dès le départ d’un mécanisme temporaire. Je ne nie pas qu’il aurait sans doute été souhaitable que le moment de sa levée soit différent, mais nous ne pouvons pas refaire l’histoire. Aujourd’hui, la situation est celle que j’ai décrite. C’est désormais à la Roumanie et à elle seule de parvenir à générer ses propres anticorps lui permettant non seulement de maintenir ses institutions en vie, mais aussi de faire en sorte qu’elles soient performantes. Je vous l’accorde, la route est encore longue. Mais d’un autre côté, il est évident que notre système judiciaire n’a pas à rougir de la comparaison avec d’autres pays de la région. C’est une réalité, et ce en dépit des nombreux ralentissements et autres griefs que nous pouvons avoir à l’encontre de telle ou telle institution.
Propos recueillis par Carmen Constantin.