Entretien réalisé le lundi 16 septembre en début d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Laura Sava-Ghica est la directrice de la fondation Terre des hommes en Roumanie, une ONG suisse présente dans le pays depuis plus de trente ans. Dans cet échange, elle parle des défis en matière de lutte contre la violence à l’égard des enfants…
Quelles sont les priorités du moment en matière de protection de l’enfance en Roumanie ?
Aujourd’hui, nous nous concentrons en particulier sur tout ce qui est prévention de la violence à l’école, parce que de plus en plus de cas sont recensés. C’est ce que nous constatons dans les écoles où nous intervenons, notamment dans les départements de Bacău, Dolj, Olt, Gorj, Braşov ou encore Constanța. Cela commence souvent par des petits conflits entre enfants qui pourraient être évités grâce à certaines méthodologies que nous essayons de promouvoir, telles que les approches réparatrices par lesquelles nous encourageons une meilleure communication entre victimes et agresseurs. Cette approche est nouvelle en Roumanie, les initiatives de ce type ont été peu nombreuses jusqu’à présent. L’idée est de travailler directement avec les enfants pour qu’ils comprennent ce qu’impliquent ces pratiques réparatrices, et, au-delà, la manière dont ils doivent communiquer et interagir entre eux, à l’école ainsi qu’à l’extérieur de l’école. Nous aidons les établissements scolaires à mettre tout cela en pratique, et nous leur apportons aussi un soutien financier. Par ailleurs, notre équipe s’investit dans la question du genre en indiquant aux enfants certains comportements négatifs liés à des préjugés. Des préjugés du type : les filles doivent se comporter et s’habiller de telle manière, faire tel type d’activités, et les garçons avoir un comportement dominateur envers elles. Nous détricotons ces idées en expliquant aux enfants que ce qui n’est pas approprié peut conduire à de la violence. Et nous encourageons les activités créatives afin de sensibiliser aux bonnes pratiques et à celles génératrices de violence. On se sert, par exemple, des jeux de rôle ; ils permettent de bien mettre en scène diverses situations.
Vous avez également tout un pan de votre activité qui concerne des enfants dont le parcours de vie est lié à la migration…
Effectivement, des enfants dont les parents travaillent à l’étranger, qui sont séparés de leur famille, ainsi que des enfants issus de l’immigration. Il s’agit de profils qu’il faut particulièrement soutenir en classe pour qu’ils ne se sentent pas exclus. Nous avons ainsi introduit un programme spécifique pour l’intégration des enfants affectés par la migration, appelé ICAM, avec une série de manuels destinés aux enseignants afin qu’ils abordent des sujets tels que la tolérance, l’entraide, la gestion des émotions ou encore l’inclusion. Le but est de changer les perceptions vis-à-vis de ces enfants qui pourraient souffrir d’un statut différent. Terre des hommes a notamment travaillé avec des petits Ukrainiens. Le ministère de l’Éducation soutient notre méthodologie, laquelle mêle différents exercices ludiques et sportifs permettant aux enfants de mieux s’accepter entre eux. Nous formons aussi des enseignants, des psychologues et des travailleurs sociaux pour qu’ils intègrent cette méthodologie dans toutes leurs interactions avec les enfants, à l’école et à l’extérieur de l’école. Les résultats sont positifs ; les enfants deviennent plus communicatifs et surtout plus enclins à accepter les différences des autres. J’ai en tête cet élève pratiquant le Ramadan qui a enfin été compris et soutenu par ses camarades de classe. Un bel exemple positif de tolérance. Du côté des enseignants, nous constatons une ouverture à ces nouvelles approches, les choses ne sont pas si figées. Dans les écoles, l’important est de s’adresser aux personnes réceptives, et il y en a. Néanmoins, comme je le mentionnais au début, les rapports sur la violence à l’école montrent une augmentation des cas, le phénomène est à prendre au sérieux. Récemment, l’inspection scolaire de Braşov nous a demandé de l’aide pour des situations de violences à l’encontre d’enfants ukrainiens, et ce dans plusieurs écoles. Certaines se sentent démunies.
Dans quelle mesure le soutien psychologique est-il devenu primordial dans votre domaine d’activité ?
Terre des hommes a des délégations dans plus de 40 pays et intervient dans de nombreux théâtres de conflits, ou des situations de type catastrophe naturelle. Des méthodologies ont donc été élaborées, lesquelles combinent de nombreux aspects sociaux et psychologiques. De manière générale, il est primordial pour nous de promouvoir tout ce qui touche au développement personnel des enfants, à leur capacité d’adaptation et d’interaction. Nous faisons également appel à leur faculté d’acceptation des autres et de la différence, comme je l’évoquais précédemment. Cela nous semble essentiel. Je parlais de méthodologies autour du jeu et du sport, mais je pense aussi à cette autre pratique dénommée PM+ lancée par l’Organisation mondiale de la santé, et que nous utilisons. Elle met l’accent sur les émotions et consiste à identifier les ressources dont disposent les personnes pour surmonter un traumatisme ou un moment difficile. Puis de les guider en conséquence. Sans oublier de toujours sensibiliser l’ensemble des acteurs impliqués, enseignants, parents, enfants, etc.
Propos recueillis par Benjamin Ribout (16/09/24).