Entretien réalisé le mercredi 28 février en milieu de journée, par téléphone et en français (depuis Budapest).
En Hongrie, la minorité rom est officiellement reconnue comme minorité ethnique par la loi hongroise sur les droits des minorités nationales et ethniques de 1993. Mais cela ne semble pas suffire à la protéger. Joël Le Pavous, correspondant à Budapest pour plusieurs médias occidentaux, fait le point sur la situation, quinze ans après la vague de crimes racistes qui a secoué le pays en 2008 et 2009…
Comment les Roms vivent-ils aujourd’hui en Hongrie ?
Avant de vous répondre, je voudrais d’abord mentionner qu’après la Seconde Guerre mondiale, alors qu’ils étaient principalement nomades, les Roms de Hongrie ont été sédentarisés de force par le régime communiste. Ils ont été installés principalement à la campagne, dans ce que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de ghettos, principalement dans les régions de Borsod, dans le nord-est, et de Tolna, au sud-ouest, l’une des régions les plus défavorisées du pays. Aujourd’hui, ils représentent environ 8 à 10 % de la population hongroise. Malheureusement, leur situation n’a guère évolué de façon favorable, que ce soit sous le régime communiste, avec les gouvernements sociaux-libéraux ou le Fidesz – parti politique national-conservateur actuellement au pouvoir, dirigé par le Premier ministre Viktor Orbán, ndlr. Ils sont encore victimes de discriminations, peu ont accès à l’enseignement ou à l’emploi, et ils occupent des postes souvent mal rémunérés ou à temps partiel. Ce cercle vicieux pousse certains d’entre eux à se tourner vers des activités peu reluisantes, voire à tomber dans la criminalité. Malgré la loi de 1993, ils ne sont pas représentés et n’ont pas voix au chapitre. Ce n’est qu’au moment des élections que les partis politiques s’intéressent à eux afin de récupérer leurs voix. Certes, il existe des initiatives, dans le domaine de l’éducation, par exemple, pour tenter de faire bouger les lignes. C’est le cas de l’école du Dr Ámbédkar, à deux heures de Budapest, fondée par Tibor Derdák, un ancien député de gauche. Un établissement qui a pour mission d’offrir un accès à l’enseignement aux enfants roms de la région.
Parlez-nous des évènements de 2008-2009… Que s’est-il passé ?
Une série de six meurtres a eu lieu entre 2008 et 2009, toutes les victimes appartenaient à la communauté rom. Il s’agissait donc clairement de crimes racistes. Le dernier a été commis le 23 février 2009 dans le village de Tatárszentgyörgy situé dans le centre du pays, où un groupe composé de quatre hommes a assassiné un père et son fils de 5 ans*. À l’époque, ces événements ont déclenché une vague d’émoi et d’indignation en Hongrie. Les responsables ont été arrêtés et trois d’entre eux condamnés à la prison à perpétuité. L’opposition a demandé à faire du 23 février une journée nationale de commémoration officielle. Mais personnellement, je n’ai jamais vu de cérémonie ou d’hommage à cette occasion. Et quinze ans plus tard, la situation n’a pas beaucoup changé. Je pense que l’on observe moins d’accès de violence, mais la ségrégation des Roms continue, les préjugés et discriminations persistent. Très peu de voix s’élèvent pour les dénoncer, et comme je le disais, la communauté rom n’est que faiblement représentée. Ceux qui ont une certaine visibilité, chanteurs ou figures politiques, sont souvent instrumentalisés par le pouvoir afin de récupérer l’électorat rom ou de capter des subventions européennes.
Au-delà de la question rom, comment les autres minorités sont-elles accueillies ? Y a-t-il, comme c’est le cas actuellement en Roumanie, de plus en plus de travailleurs venus d’Asie ?
La Hongrie n’a jamais été un vrai pays d’immigration mais d’émigration, notamment vers l’Europe de l’Ouest. Pour autant, le pays accueille une présence chinoise importante depuis plus de trois décennies, et l’arrivée des asiatiques s’est effectivement amplifiée ces dernières années, notamment chez les livreurs de repas à domicile ou dans les usines manquant de main-d’œuvre. Exemples, la multinationale italienne de câbles Prysmian, à Kistelek, dans le sud du pays, qui embauche des Indonésiens disposant même d’une salle de prière sur place. Ou encore la grande société de transports Waberer’s qui sollicite des routiers indiens. On observe aussi l’essor de sites de batteries électriques, dont les ateliers de la société coréenne SK Innovation à Komárom et à Iváncsa, ou la future unité du géant chinois CATL à Debrecen qui démarrera en 2025. Ces sociétés attirent des milliers de personnes venues d’Asie, de la Turquie aux Philippines. Mais le phénomène génère des craintes parmi les populations locales concernées qui redoutent aussi les conséquences environnementales de ces installations.
Propos recueillis par Charlotte Fromenteaud.