Entretien réalisé le vendredi 21 mai en fin d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Ionuţ Minea est directeur du département de géographie à l’université Alexandru Ioan Cuza de Iași. Il revient ici sur le stress hydrique* auquel se confronte la Roumanie en ce début d’été…
Comment jugez-vous le stress hydrique de ces dernières semaines ?
Cette année n’est pas fondamentalement particulière du point de vue du stress hydrique, elle s’inscrit dans une normalité récente. Certes, le niveau des précipitations durant l’hiver dernier a été insuffisant par rapport aux hivers précédents. Mais pour ce qui est du printemps 2024, il a plu de manière constante sur l’ensemble du pays, ce qui n’a pas toujours été le cas ces dernières années. Ceci dit, sur les dix, vingt dernières années, la situation n’est guère reluisante, avec de très nombreux épisodes de sécheresse, particulièrement dans le sud et l’est du pays. Des sécheresses allant de l’automne-hiver jusqu’au printemps, voire l’été suivant, et qui ont un impact à plusieurs niveaux. À la sécheresse météorologique, c’est-à-dire à une pluviométrie trop faible, suit une sécheresse hydrologique puis pédologique – des sols, ndlr –, et enfin hydrogéologique – circulation de l’eau souterraine dans le sol et les roches, ndlr. Sans oublier les conséquences socio-économiques de ces phénomènes – voir cette fiche d’information des Nations unies sur le sujet, ndlr. La fréquence des sécheresses est en augmentation, c’est indéniable. Et c’est très visible depuis le début du siècle : 2000, 2007, 2012, 2015, 2020, 2021, 2022 et 2023 ont toutes été des années de sécheresse. Leur fréquence s’accélère et les effets se cumulent à tous les niveaux. En l’absence de précipitations, il n’y a plus d’eau dans les rivières, dans nos sols et nos sous-sols, entre autres…
* Quand la demande en eau dépasse les ressources disponibles.
Quelle est la situation des nappes phréatiques roumaines ?
Pour ce qui est des nappes phréatiques, je connais davantage la situation concernant la partie est du pays où, sans surprise, les réserves en eau souterraine sont inférieures à ce qu’elles devraient être. Elles sont sous pression car les précipitations se concentrent sur des périodes très courtes, c’est là un changement majeur. À certains endroits, il peut tomber en quelques jours une quantité d’eau équivalente à une demi-année, vous imaginez le changement… Par ailleurs, la demande en eau pour l’agriculture est en hausse constante, notamment pour subvenir aux besoins des systèmes d’irrigation. De plus, les réserves souterraines sont très souvent polluées en substances chimiques, ce qui aggrave davantage l’état des nappes phréatiques. Autre facteur perturbant et d’ordre anthropique : l’extension des zones périurbaines qui entraîne la surexploitation des eaux souterraines à cause des forages, des puits, etc.
Face à ces problèmes, que font les autorités locales et nationales ?
Il y a des mesures que je qualifierais de traditionnelles. Par exemple, on essaie d’étendre le système d’approvisionnement en eau pour la population, en milieu rural notamment. L’État travaille aussi à identifier de nouvelles ressources en eaux souterraines. Mais cela ne sera pas suffisant sur le long terme. Le contexte demeure inquiétant si la fréquence de ces sécheresses se poursuit. Nous sommes dépendants des conditions climatiques, en particulier dans l’est et le sud du pays. En Transylvanie, c’est un peu différent, la région bénéficie de masses de courants d’air plus humides à l’intérieur de l’arc carpatique, ainsi que venant de l’ouest de l’Europe. Le reste du pays est davantage exposé à des courants d’air plus secs en provenance de l’est ou du sud-est, et même de la péninsule arabique. Certaines régions telles que Iaşi, Botoşani, le sud du département de Vaslui ou encore le nord de Galaţi sont particulièrement vulnérables. En milieu rural, on constate que beaucoup forent à des distances de plus en plus profondes. Le problème est que l’eau y est trop minérale et chargée en substances chimiques pour être bonne à quoi que ce soit. Quant au stockage de l’eau, chaque village possédait traditionnellement une étendue d’eau ou un bassin, un lac, qu’il utilisait en cas de pénurie. Cela s’est un peu perdu, malheureusement, notamment parce qu’une partie des terrains en question a été revendiquée, ils sont alors utilisés différemment. Je mentionnerais qu’il y a aussi eu en Moldavie des initiatives ponctuelles de type « rivières propres, villages propres » visant à diminuer la pollution des cours d’eau. Mais cela reste anecdotique face à l’urgence de la situation.
Propos recueillis par Benjamin Ribout.