Entretien réalisé le lundi 27 février dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Ioana Ciută est présidente de l’organisation Bankwatch en Roumanie. Elle alerte sur un projet de loi visant à restreindre les pouvoirs des ONG…
Quel est l’objet de cette nouvelle loi sur les ONG proposée au Sénat ?
Une loi a effectivement été enregistrée en novembre dernier, déposée par des sénateurs PSD et PNL, une initiative de modification d’une ordonnance de l’année 2000 définissant les droits des associations et fondations. La première chose frappante est l’exposition faite par les sénateurs des raisons qui motivent ce projet législatif. Les articles introduits trouvent leur source dans un présupposé totalement erroné qui est le suivant : l’activité des ONG serait le principal obstacle à la construction d’infrastructures et le frein à leur développement en Roumanie, autoroutes, barrages hydro-électriques, etc. C’est faux et révoltant. Ils proposent ainsi de restreindre la possibilité des ONG d’attaquer devant les instances les actes administratifs, notamment les évaluations environnementales de projets de construction ou les permis de construire. Et ils veulent faire cela en s’attaquant à la liberté et aux droits des ONG.
Qu’est-ce que la loi propose concrètement ?
Elle veut poser des freins à la contestation des actes administratifs. La première contrainte est temporelle : la contestation devra désormais se faire dans les 30 jours suivant la publication de l’acte en question. Ensuite, cette loi vise à demander aux ONG à l’initiative d’une contestation de donner en caution 1% du montant total des investissements du projet attaqué, dans la limite de 50 000 lei. Cette somme resterait bloquée le temps de la procédure, et distribuée aux initiateurs du projet si la contestation n’aboutit pas. Par ailleurs, ce projet de loi vise à transférer la responsabilité financière de l’association en tant qu’entité juridique vers les personnes physiques la représentant au sein du conseil d’administration. Cela signifierait qu’en cas de condamnation ou autre litige, l’argent des membres du conseil d’administration d’une ONG et leurs biens pourraient être saisis. Enfin, cette loi propose aussi d’empêcher une personne précédemment membre du conseil d’administration d’une association dissoute de siéger à nouveau dans un conseil d’administration pendant cinq ans. Cet article vient remettre en question le droit constitutionnel d’association libre des personnes.
Quelles seraient les conséquences de son application ?
Il s’agit d’un projet assez flou et large qui viendrait nuire au travail de toutes les associations et ONG, mais aussi aux groupements civiques qui attaquent des actes administratifs. Je voudrais aussi ajouter qu’il y a une part d’arbitraire, notamment dans un article de cette loi qui stipule qu’une association ne pourra contester un acte administratif que si cet acte est lié à l’objet de l’association défini dans ses statuts. Nous sommes face à des mesures bâillons et contraires à l’égalité face à la loi. Les organisations ne peuvent pas disposer de fonds illimités qui seraient bloqués pendant parfois plusieurs années. De fait, la demande d’une garantie financière pour accéder à une instance de justice est contraire à la Convention d’Aarhus qui réglemente l’accès aux informations environnementales. Manifestement, cette loi montre que les partis politiques sont dérangés par le rôle de « watchdog » des ONG ; ils n’aiment pas que la société civile les surveille et veulent nous retirer de l’équation.
Propos recueillis par Hervé Bossy.
Note : Ces jours-ci, les ONG ont obtenu qu’une analyse comparative avec d’autres pays soit réalisée. Par conséquent, ce nouveau projet de loi ne devrait pas être voté en séance plénière de sitôt.