Début décembre auront lieu les prochaines élections législatives. Que va-t-il se passer ? Comment lire le jeu politique ? Ioan Stanomir, politologue, ancien président exécutif de la Commission présidentielle pour l’analyse du régime politique et constitutionnel, décrypte le contexte actuel et son possible devenir. Pendant deux ans, il a aussi conduit l’IICCMER, l’institut en charge de l’analyse des crimes du régime communiste.
Regard : À quoi allons-nous assister lors des prochaines élections législatives ?
Ioan Stanomir : Ces élections se déroulent dans un climat marqué par plusieurs affaires pénales en cours. Cela pourrait avoir des conséquences sur les options de l’électorat. Toutefois, l’impact ne doit pas être exagéré. Souvenez-vous des municipales où des maires condamnés par la justice ont pourtant été élus. À l’image du maire de Baia Mare déposant son serment en prison. Les acteurs politiques sont en difficulté, à l’instar de Vasile Blaga, éliminé de la vie politique suite à son placement sous contrôle judiciaire. Ceci étant, certaines réalités demeurent : le PSD (Parti social démocrate, ndlr) dispose toujours d’une capacité de contrôle et de mobilisation forte. Le PNL (Parti national libéral, ndlr) espère quant à lui bénéficier du prestige du mandat du gouvernement Cioloş pour attirer un électorat qui, autrement, pourrait être tenté de migrer vers l’USR (Union pour sauver la Roumanie, ndlr).
L’USR pourrait-il percer ?
À l’heure actuelle, il leur manque des organisations territoriales, ce qu’ils devraient compenser par une mobilisation sur Facebook et sur Internet. Mais les organisations territoriales ont de l’importance car elles permettent de mobiliser les gens, surtout dans un contexte de faible participation au scrutin. Dans un pays comme la Roumanie, inciter l’électorat à se déplacer dépend énormément du facteur émotion. Ce fut notamment le cas lors de la dernière présidentielle qui a vu l’élection de Iohannis. La mobilisation qu’elle a suscitée s’explique par la gaffe monumentale et l’arrogance de Victor Ponta dans ses déclarations à propos du vote des Roumains de l’étranger. Pour les législatives, en l’absence de ce facteur émotionnel, la participation devrait être réduite et favoriser ceux qui sauront mobiliser la population, à priori le PSD.
L’USR est un parti paradoxal car il refuse de s’encadrer dans un modèle classique de parti. C’est une organisation « arc-en-ciel », dans le sens où tout le monde peut s’y retrouver. Mais je suis sceptique à l’égard des partis ou des organisations qui refusent d’afficher une identité idéologique ; seul le populisme peut se targuer de couvrir tout le spectre des idées. D’un autre côté, ce flou est sans doute un avantage pour eux, les gens s’investissent dans leur projet en l’alimentant de toutes sortes d’idées. Le PNL considère l’USR comme un potentiel allié, et l’USR est favorable à une certaine continuité avec le mandat de Cioloş. Une coalition entre les deux est donc possible. La percée de l’USR à Bucarest s’explique par l’échec lamentable du PNL. Cela a aussi un lien avec le fait que le scrutin local ne comporte qu’un tour. Sans ça, Gabriela Firea n’aurait jamais remporté la mairie, soyons clair. Mais une campagne nationale suppose des idées nationales, or ce que propose Nicuşor Dan n’est pour l’instant valable que pour la capitale.
Voyez-vous Dacian Cioloş toujours Premier ministre après décembre ?
L’une des conditions de Klaus Iohannis pour que Dacian Cioloş demeure en place serait son adhésion à un parti, implicitement le sien, le PNL. Le président mise sur le capital confiance dont dispose Cioloş et sur l’impression de sérieux qui se dégage de son mandat. On verra ce que le Premier ministre va décider, tout comme l’attitude du PNL qui traverse actuellement une crise après la disparition de son aile PDL (Parti démocrate libéral, ndlr) représentée par Vasile Blaga. Le PNL manque cruellement d’idées à l’heure actuelle. Le PSD, à l’inverse, est dans une très bonne posture au niveau local. Il se trouve entre les mains, plutôt fermes, de Liviu Dragnea, son président. Et la lutte entre celui-ci et Victor Ponta n’est pas assez profonde pour créer une hémorragie électorale.
Une victoire du PSD ne marquerait-elle pas un recul pour la Roumanie ?
Elle pourrait effectivement être préjudiciable du point de vue de la justice étant donné que plusieurs de ses membres sont des personnes poursuivies ou qui ont déjà été condamnées. Liviu Dragnea a été condamné au pénal avec sursis. Le PSD n’est pas spécialement reconnu pour être un inconditionnel des idées de justice et de transparence.
Comment jugez-vous le gouvernement actuel ?
Le gouvernement Cioloş est né d’un grand horizon d’attentes. Son existence est cependant dépendante d’un aspect primordial qu’il ne faudrait pas occulter : le fait que le PSD l’ait toléré. Car il s’agit d’un gouvernement utile pour le PSD, il lui a permis de se replier dans une posture secondaire sans pour autant abandonner ses positions dominantes au niveau local et dans l’administration centrale. En prime, le PSD peut se permettre de critiquer le gouvernement. Cette mise en retrait toute relative, après avoir sacrifié Victor Ponta, a été une stratégie intelligente. Quant au gouvernement Cioloş, il ne pouvait pas avoir d’objectifs réellement ambitieux mais a cependant réalisé quelque chose d’important : l’assainissement du climat public par le biais d’une responsabilisation politique. La conduite de Dacian Cioloş contraste à ce titre énormément avec celle de son prédécesseur (Victor Ponta, ndlr). D’autant qu’il a été confronté à des problèmes qui existent depuis longtemps. La crise de la santé n’est pas une crise du gouvernement Cioloş, il en a hérité. Idem pour la situation dans les prisons. Ils s’est retrouvé comme un pompier de service devant éteindre des incendies dont l’origine est ancienne.
Et le président Iohannis ?
Klaus Iohannis a été le président d’une grande espérance en 2014. Avec la nomination de Dacian Cioloş, il a réalisé un beau coup. Il est cependant difficile de réellement saisir sa vision de la présidence. On peut supposer qu’il souhaite être moins engagé dans les polémiques et préfère consacrer son énergie à des choses de longue haleine. Même si, à mon sens, ce qu’il nomme son « projet de pays » et la commission convoquée ne comportent aucun intérêt. Un tel projet devrait s’articuler autour de mesures visant à réformer l’État afin d’enclencher de profonds changements. Le projet de pays pour la Roumanie, nous le connaissons tous : égalité devant la loi, application de la loi, transparence de la gouvernance, milieu d’affaires propice, des services sociaux de qualité, un équilibre écologique… À ce titre, la diaspora roumaine n’est pas juste un phénomène économique, c’est aussi et surtout le refus d’une société. Beaucoup sont partis car ils ne se reconnaissent pas dans les valeurs de la société roumaine. Mais je ne vois pas pourquoi ces valeurs devraient se retrouver dans un « projet de pays », il n’y a pas besoin de commission ou de rapport pour cela.
Si le mal est connu, pourquoi les changements tardent-ils autant ?
Nous n’y parvenons pas parce qu’il existe une forme de complicité et de duplicité entre les électeurs et les élus. Ainsi qu’un sous-développement endémique dont nous n’arrivons pas à nous débarrasser. Rajoutez à cela l’expérience communiste… Même si 25 ans, c’est beaucoup. D’autres pays s’en sont d’ailleurs mieux sortis. Il faut bien distinguer l’infrastructure de la société de consommation de celle d’une société démocratique. Les malls ne font pas une démocratie, au mieux ils font une société de consommation. Or, une telle société au sein d’une société sous-développée est une caricature du Tiers-monde. Aujourd’hui, la Roumanie reste malheureusement un pays du Tiers-monde au sein de l’Europe. Ce qui nous sauve, c’est la stabilité politique ainsi que nos options géostratégiques, fondamentalement euro-atlantiques.
Que pense la diaspora ? Pourrait-elle revenir au pays, en partie ?
À l’heure actuelle, elle est confrontée à un problème lié au droit de vote. Il est inacceptable de pénaliser ces gens sous prétexte qu’ils ne vivent pas en Roumanie. Le lien de citoyenneté dépasse largement le fait de se trouver à un endroit. Le vote de ces individus est plombé par une représentation inadéquate, le nombre de parlementaires qui les représentent est trop faible. Un vote en Roumanie ne pèse pas la même chose qu’un vote à Grenoble ou à Miami. Et ça, les Roumains de l’étranger ne le digèrent pas. Pour revenir à votre question, à mon avis leur réintégration dans la société roumaine est utopique. Tant que la Roumanie continuera d’être comme elle est aujourd’hui, ils ne rentreront pas, d’autant que cela mettrait un terme à leur carrière. Il y a d’ailleurs ici un stéréotype à combattre. Une grande majorité des Roumains de l’étranger constituent un apport et un plus pour la société où ils vivent. Et non pas un poids. Ce ne sont pas des gens qui courent après les aides sociales ou vivent sur le dos des Européens. Ils contribuent et reçoivent en échange des services, c’est tout à fait normal.
Ce qui vous déprime profondément dans la Roumanie d’aujourd’hui ?
Le manque d’efficacité de l’État dans les domaines qui comptent. Il est inacceptable d’avoir des systèmes de santé et d’éducation à ce point défaillants, tout comme des infrastructures de ce niveau. Je suis, comme tout le monde, atterré de la lenteur avec laquelle nous nous dépêtrons de notre passé. Il n’y a aucune nostalgie à avoir au sujet du communisme car tout ce qu’il nous a légué s’est avéré inutilisable. Nous ne pouvons pas, comme les Européens de l’Ouest, regarder en arrière et être nostalgiques des Trente glorieuses. Nous voulons juste un futur décent. Et cela commence par ne pas mourir à l’hôpital à cause d’une infection, ou ne pas avoir des ambulanciers traitant une attaque de panique au lieu d’un infarctus. Tout comme en finir avec les politiciens arrogants.
Propos recueillis par Benjamin Ribout (octobre 2016).