Entretien réalisé le lundi 21 août dans l’après-midi, au siège de l’ARBDD à Tulcea.
Depuis l’été, la Russie bombarde régulièrement les ports ukrainiens du Danube situés juste en face de la Roumanie. Gabriel Marinov est le gouverneur de l’Administration de la réserve biosphère du delta du Danube (ARBDD), entité qui gère la réserve naturelle de 5800 km². Il parle ici de l’impact et des risques environnementaux de la guerre sur le Delta…
Quelles sont les conséquences de l’agression russe en Ukraine sur la faune et la flore du delta du Danube ?
Pour le moment, nous ne pouvons pas parler de conséquences directes, et nous ne pouvons pas mesurer les effets sur le court terme. En temps voulu, nous réaliserons les études nécessaires afin de les déterminer. Ceci étant, il existe en effet des risques. Le Delta est une zone transfrontalière dont une partie se trouve dans un pays en guerre. Il y a des bombardements à proximité du fleuve, des substances polluantes peuvent donc potentiellement se déverser dans le Danube. Si pour l’instant rien n’est à signaler, il existe une conséquence indirecte bien visible sur le Delta ; lors de la destruction du barrage de Nova Kakhovka en juin, des maisons ont été emportées et tout a dérivé vers le littoral ukrainien, près d’Odessa, mais aussi au sud du Delta où se dirige le courant venu du fleuve Dniepr. Lorsque je suis allé cet été sur une plage protégée que je parcours habituellement une fois par an, j’ai été choqué par le nombre inimaginable de déchets, des micro-ondes, des portails en bois, des matériaux de construction… Le problème, dans ce cas précis, est qu’on ne peut pas sortir ces détritus facilement d’un endroit où les véhicules sont strictement interdits. Nous devons nous organiser afin de les récupérer par bateau.
Le delta du Danube est devenu une zone d’échanges importante, de nombreux cargos viennent y charger les céréales ukrainiennes. Y a-t-il des risques pour l’environnement ?
La circulation des cargos s’est en effet intensifiée, et toute activité humaine amène des risques de perturbations, mais nous ne pouvons pas encore en mesurer les effets sur la faune et la flore. La partie ukrainienne étant militarisée, les informations ne circulent plus comme avant, et nous n’avons pas de données exactes concernant les bras navigables de Chilia (entre l’Ukraine et la Roumanie, ndlr) et le canal de Bystroe, en Ukraine. Nous ne savons pas dans quelle mesure ils sont utilisés. Mais rappelez-vous que l’Ukraine a voulu approfondir le canal de Bystroe afin de l’ouvrir à des cargos plus gros qui puissent ensuite naviguer sur le bras de Chilia, en plus de celui de Sulina. En tant qu’administration d’une réserve naturelle, nous sommes contre ces travaux, et nous nous basons sur des études scientifiques. Le delta du Danube ne supporterait pas deux canaux navigables de grandes dimensions. Cette exploitation a déjà eu lieu par le passé et les effets négatifs sur les écosystèmes du Delta ont pu être observés*.
* À lire ou à relire, l’entretien sur cette polémique avec Costin Ciobanu, chercheur de sciences politiques à l’université Royal Holloway de Londres (« Regard, la lettre » du samedi 1er avril 2023) : https://regard.ro/costin-ciobanu/
Comment se passe la communication avec vos partenaires ukrainiens de la Réserve ?
L’administration, côté ukrainien, gère 20 % de la Réserve, et nous étions toujours en contact. Mais depuis le début de la guerre, la communication est plus difficile. La zone est militarisée et certaines parties ne sont plus accessibles. Nous devions déposer des projets avec nos partenaires ukrainiens, mais il faudra attendre. Dans un tel contexte, l’environnement passe malheureusement au second plan.
Propos recueillis par Marine Leduc.