En juillet dernier, dans le département d’Harghita, deux bergers ont été blessés par un ours. Et depuis le début de l’année, plus de soixante-dix attaques ont été signalées. Sans véritable stratégie sur le long terme, les autorités ont une nouvelle fois accordé un quota de chasse de 140 ours et 97 loups pour 2017. Des chiffres que les écologistes et les chasseurs condamnent, mais de façon radicalement différente : c’est trop pour les uns, pas assez pour les autres.
Grațiela Gavrilescu, ministre de l’Environnement, le 25 août dernier :
« Nous sommes face à une situation inédite, des ours attaquent l’homme jusque dans son jardin, les événements récents ont choqué l’opinion publique. Nous ne pouvons pas rester impassibles. »
Benke József, directeur de l’Association des chasseurs d’Harghita :
« Le quota de chasse n’est pas du tout suffisant. Le problème persiste, cela n’arrange rien, il s’agit d’une décision purement politique sans lien avec la réalité du terrain. Par ailleurs, ce système des quotas ne prend pas en compte les différences régionales. Il faudrait en premier lieu évaluer le nombre d’ours vivant dans chaque zone, avant de répertorier les dommages et surtout les attaques. Si rien n’est fait et qu’on ne tue pas entre 500 et 600 ours sur deux voire trois ans, on risque vraiment de se retrouver face à une situation beaucoup plus dangereuse. Les habitants de certaines régions, déjà excédés, résoudront le problème par leurs propres moyens, certains ont déjà mis du maïs sur les voies de chemin de fer pour que les trains se chargent de tuer les ours. »
Leornardo Berecki, coordinateur du Centre de réhabilitation des ours orphelins des monts Hășmaș (département d’Harghita) :
« Chaque ours tué rapporte plusieurs milliers d’euros aux chasseurs, ils ont donc perdu beaucoup d’argent suite à l’interdiction de chasser de l’année dernière. Cela fait plus de 20 ans que je travaille sur les ours, je vis avec eux, et je peux vous assurer qu’ils préfèrent éviter au maximum le contact avec l’homme. Le vrai problème n’est pas le nombre d’ours, c’est l’imprudence de ceux qui entrent dans des zones d’habitat d’animaux sauvages. Par ailleurs, avant il y avait beaucoup moins de surfaces agricoles, beaucoup plus de bois et donc plus d’espace pour les ours. Enfin, on ne peut que déplorer le comportement de certains promeneurs qui laissent derrière eux des restes de nourriture près de zones habitées. »
Bogdan Matei, responsable de la collection des mammifères au musée Antipa de Bucarest :
« Avant de prendre une décision, il faudrait en premier lieu procéder à une estimation correcte du nombre d’ours et de loups en Roumanie. Les associations de chasseurs ont évidemment intérêt à dire qu’il y en a beaucoup afin d’en chasser le plus possible. Il faut donc faire attention à ce qu’ils avancent, d’autant qu’ils ont tendance à chasser les plus gros mammifères, ceux qui ont le plus de valeur aussi en termes génétiques, et donc qui sont cruciaux pour la survie de l’espèce. À un moment donné, nous avons tellement exporté de trophées d’ours que les pays signataires de la Convention de Washington – sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, ndlr – ont exprimé leur inquiétude vis-à-vis de la situation des ours en Roumanie. Mais je doute de l’efficacité du système des quotas ; si un ours est dans le champ de mire d’un chasseur, il est très probable qu’il sera tué quoi qu’il en soit. (…) À l’Ouest, il n’y a pratiquement plus d’ours et on ne semble pas les regretter. Mais quand des loups refont leur apparition dans les Alpes françaises ou italiennes, le débat sur leur chasse ressurgit, comme ici. À mon sens, en Roumanie, le plus réaliste serait de déplacer un certain nombre d’ours et de loups dans des parcs spécifiques pour les chasseurs. Pour le reste, un peu plus de civilité permettrait sans doute d’éviter les accidents. »
Grațiela Gavrilescu, ministre de l’Environnement, le 26 septembre dernier :
« Notre pays ne dispose pas d’un inventaire précis sur les ours, nous savons qu’ils sont à peu 7000, mais certaines sources suggèrent qu’ils sont bien plus nombreux. Avec le soutien de l’Union européenne et en collaboration avec l’Académie roumaine, nous allons rédiger un projet d’inventaire dans le but de les surveiller, de les protéger, et de faire en sorte qu’ils n’attaquent plus l’homme. Je suis d’ailleurs en discussion avec les ambassades de certains pays pour voir si des ours pourraient être envoyés dans des réserves à l’étranger, précisément dans les pays où leur population a fortement chuté. »
Propos recueillis par Carmen Constantin (octobre 2017).