Analyse du télétravail et de ses conséquences avec le sociologue Dorin Bodea, directeur général de Result Development, société spécialisée en ressources humaines…
Comment jugez-vous le développement du télétravail ?
Tout d’abord, je voudrais rappeler que le télétravail n’est pas une invention récente. Il existe depuis plus de soixante-dix ans. Le télégraphe et surtout le téléphone ont rendu possible le travail à distance. Et c’est un contexte exceptionnel, la guerre, qui a donné lieu à son application concrète. Internet, les plates-formes de communication en streaming, les réseaux sociaux, etc., ont ensuite accéléré la tendance, rendant possible de travailler depuis chez soi. Mais il s’agit d’une réalité qui existait bien avant la crise sanitaire actuelle, certes à un moindre rythme. La pandémie a démultiplié le recours à ces possibilités techniques. Et ce sont surtout les grandes corporations disposant déjà de grands moyens d’interconnexion, avec des employés maîtrisant les techniques numériques, qui ont pu et su s’adapter rapidement aux nouvelles conditions imposées par la distanciation sociale. Mais cela n’a pas été simple pour toutes les sociétés, certaines ont dû réinventer totalement leur façon de faire.
La productivité des employés est-elle affectée par le télétravail ?
Cela dépend en grande partie du domaine de l’entreprise, et de l’occupation concrète de chaque employé. Pour ce qui est des tâches commerciales, par exemple, le contact direct avec le client est souvent nécessaire. On ne peut pas tout acheter sur les plates-formes. Et on ne peut pas offrir les meilleurs conseils par téléphone ou en visioconférence. Mais tous domaines confondus, il y a effectivement des patrons qui se posent cette question de la productivité des employés travaillant depuis chez eux ; remplissent-ils correctement leurs tâches ? Est-ce qu’ils y dédient véritablement huit heures par jour ? Comment leur vie de famille interfère-t-elle dans leur programme ? Il n’est pas simple de mesurer la productivité du télétravail. De leur côté, beaucoup d’employés se plaignent de surmenage. Ils disent travailler davantage depuis chez eux, les choses à faire s’enchaînent dans un rythme plus lent, etc. À cela s’ajoute le stress de la sécurité de leur emploi. Sans parler d’une perte de confiance en soi plus aigüe, ou d’un sentiment d’un manque d’accomplissement au niveau personnel. Avoir un emploi, ce n’est pas seulement remplir une fonction, c’est aussi coopérer, communiquer, rencontrer des gens. Tout cela ajoute de la valeur au travail.
Comment voyez-vous l’avenir des grands immeubles de bureaux ?
Avec la crise sanitaire, d’immenses surfaces commerciales se sont effectivement vidées, à Bucarest comme ailleurs. Bien des sociétés se demandent s’il ne serait pas préférable de renoncer à une partie de l’espace loué. Cela peut représenter une économie importante, jusqu’à 10% du budget annuel. Je pense à cet entrepreneur qui a pris la décision de renoncer au siège central de sa société. À la place, il loue six autres espaces plus petits dans plusieurs endroits de la ville ; les employés peuvent ainsi se rendre au bureau le plus proche de leur domicile. Plusieurs modèles sont désormais possibles.
Propos recueillis par Matei Martin.
Dorin Badea est également l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Micul zeu și viitorul muncii în panteonul fericirii – 2019 (Le petit dieu et l’avenir du travail au panthéon du bonheur).