Dan Perjovschi, 59 ans, est un artiste contemporain de renommée internationale. Il est notamment connu pour ses dessins au marqueur noir qui transmettent une observation engagée, fine et poétique de l’actualité…
Comment vous sentez-vous, artistiquement parlant ?
Je vis une nouvelle période d’expérimentation. J’avais déjà appris à être sous pression, que ce soit à cause de la censure communiste ou du manque de financements. J’ai dû m’adapter et trouver des solutions ; c’est toute l’histoire de ma vie artistique. J’ai commencé à dessiner sur les murs avec un simple marqueur dans plusieurs pays parce qu’il m’était impossible d’exporter mon travail à l’étranger, de payer des assurances, etc. Et cela fait plus de vingt ans que cela dure. Aujourd’hui, je dois de nouveau changer quelque chose dans ma pratique. Par exemple, vu que je ne peux pas être sur place lors de mes expositions, un ami a reproduit mes dessins pour un vernissage à Bogota. J’ai aussi envoyé des cartes postales avec des dessins à diverses galeries. Aujourd’hui, on se tourne beaucoup vers le numérique, je préfère revenir en arrière et faire de l’art postal.
Vos dessins disent souvent quelque chose de la société. Que vous inspire-t-elle en ce moment ?
La pandémie, le terrorisme en France ou la présidentielle américaine sont de grandes sources de réflexion. J’espère aider en introduisant un peu d’humour, celui qui aide, qui est un pont entre les choses, et qui permet une compréhension fine du monde. Concernant la France, je pense que dessiner sur ce qui s’y passe actuellement est très délicat, la réalité française est très complexe. Et parfois, des dessins ne peuvent pas illustrer ou résumer une situation aussi complexe. Il s’agit alors de trouver des solutions. On pouvait rire de tout il y a vingt, trente ans, aujourd’hui ce n’est malheureusement plus possible, il faut être dans la nuance. Il n’en reste pas moins que mourir pour des caricatures, c’est de la folie.
L’optimisme semble peu répandu en Roumanie. Comment le ressentez-vous ?
À mon avis, il y a de l’optimisme, mais à l’envers. Ici, on se sent très bien quand on n’est pas bien (rire). Les Roumains se complaisent dans l’échec parce qu’ils pensent qu’ils ne pourront pas tomber plus bas. À partir de là, on ne peut que remonter. Je suis également optimiste en ce sens. J’ai participé à 1989, j’ai survécu à la crise, et maintenant à une pandémie mondiale. Je crois que l’humain sait s’adapter et trouver des solutions pour tout. Regardez, on a un maire allemand à Timișoara, et une Française maire de secteur à Bucarest. Ce pays réserve toujours des surprises, c’est toujours un peu paradoxal. Il y a d’un côté l’héritage classique, de l’autre l’héritage dadaïste. Et on évolue continuellement entre les deux, du très conventionnel au très expérimental. D’ailleurs, l’un des initiateurs du dadaïsme se surnomme Tristan Tzara, ce qui veut dire littéralement « triste dans le pays », c’est intéressant. Comme beaucoup d’autres, il est parti de Roumanie et s’est éteint dans l’exil. Il y a quelque chose de brutal dans ce pays qui crée puis rejette l’avant-garde. Mais c’est peut-être aussi ce type de contraste qui fait la Roumanie.
Propos recueillis par Marine Leduc.
Note : Pour un aperçu du travail de Dan Perjovschi, cliquez sur le lien suivant :