Entretien réalisé le dimanche 23 juin dans l’après-midi, par mail et en roumain.
La Hongrie est sur le point de prendre la présidence de l’Union européenne. À quoi peut-on s’attendre ? Décryptage avec le politologue Costin Ciobanu, chercheur à l’université d’Aarhus au Danemark…
Dans la foulée des élections européennes, d’où l’extrême droite est sortie revigorée, comment voyez-vous la présidence hongroise du Conseil de l’Union européenne à compter du 1er juillet ?
La présidence hongroise est un défi pour le reste de l’Union, à plusieurs niveaux. Tout d’abord, c’est une première d’avoir à la tête de l’UE un pays qui entretient des relations très froides avec Bruxelles. Budapest est le véritable mouton noir de l’Union européenne avec des problèmes d’état de droit très sérieux, sans oublier son attitude ; l’UE doit sans cesse négocier avec le gouvernement hongrois qui témoigne d’un réel esprit de sabotage, que ce soit lorsqu’il est question d’aider l’Ukraine ou de mettre en place des sanctions contre la Russie. Je rappelle que depuis 2018, la Hongrie est sous la menace de l’article 7 du Traité de l’Union européenne, lequel concerne la suspension du droit de vote au Conseil. L’année dernière, des voix se sont même élevées pour que la Hongrie n’assure pas la présidence de l’UE à partir du 1er juillet. Par ailleurs, Budapest prend la tête de l’UE à un moment charnière en matière de cycle politique ; la direction et l’avenir de l’Union à long terme sont vivement discutés. Or, la Hongrie continue d’utiliser la menace de son droit de veto dans les diverses négociations*. N’oublions pas que les décisions relatives à l’élargissement, à la politique étrangère, à la défense ou encore au marché unique requièrent l’unanimité. Ce qui est certain, c’est que le slogan choisi par la Hongrie pour sa présidence – « Make Europe Great Again », inspiré de l’ancien président américain Donald Trump, ndlr – est une nouvelle provocation. Il faut s’attendre à ce que les priorités de la présidence hongroise reflètent les intérêts de Budapest, avec un « new deal » pour la compétitivité à rebours de l’actuel Green Deal, ou encore le renforcement de la politique européenne de défense, ce qui peut soulever là aussi des questions compte tenu des positions hongroises plutôt clémentes à l’égard de la Russie et de la Chine. Je mentionnerais enfin que le régime du Premier ministre Viktor Orbán propose une politique d’élargissement différente en soutenant davantage l’adhésion des pays des Balkans occidentaux plutôt que celle de l’Ukraine et de la Moldavie.
* Mercredi, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a posé son droit de veto contre une déclaration commune de l’UE dénonçant la décision du Kremlin d’interdire la diffusion de 81 médias européens en Russie (source : Euronews).
Lors des dernières élections, le parti Fidesz de Viktor Orbán a été bousculé par la montée d’une opposition pro-européenne menée par le jeune avocat Péter Magyar. Un scénario à la polonaise avec une société hongroise plus ouverte et des dirigeants plus démocrates vous semble-t-il possible d’ici peu ?
Durant ces quatorze années de régime Orbán, la Hongrie s’est de plus en plus affirmée comme un régime peu démocratique. Cela s’est produit en partie parce que le Parti populaire européen, le PPE, a longtemps fermé les yeux, satisfait de compter le Fidesz dans ses rangs. Mais les dernières élections européennes ont effectivement démontré que le parti d’Orbán n’était peut-être plus aussi fort. Pour la première fois depuis 2010, il a obtenu moins de 50 % des voix et a perdu deux sièges d’eurodéputés sur treize qu’il détenait. Dans le même temps, un parti né de rien, Tisza (Respect et Liberté, ndlr), de l’un des anciens proches du régime, Péter Magyar, a lui obtenu près de 30 % des suffrages, raflant ainsi sept sièges de députés européens, toujours pour le groupe PPE. Magyar affirme que c’est à cause du régime d’Orbán que la Hongrie s’est appauvrie et qu’elle est devenue l’un des pays les plus corrompus de l’Union. S’il parvient à conserver cet élan jusqu’aux élections législatives de 2026, Tisza pourrait détrôner le Fidesz.
Qu’en est-il des relations entre les pays membres du Groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, ndlr) ?
La coopération entre la Pologne et la Hongrie a subi un sérieux coup d’arrêt après le déclenchement de la guerre en Ukraine. Si le Fidesz et le PiS – parti Droit et Justice au pouvoir en Pologne entre 2015 et 2023, ndlr – étaient unis dans leur opposition à Bruxelles, leurs positions respectives vis-à-vis de la Russie les différenciaient. Et avec l’arrivée au pouvoir du pro-européen Donald Tusk et de la Plate-forme civique polonaise en 2023, les possibilités de coopération se sont davantage réduites. Tout cela a forcément un impact sur le Groupe de Visegrád. D’autant que Tusk est l’un des principaux négociateurs du PPE, groupe que le Fidesz a quitté, ou dont il a été évincé. Il ne fait d’ailleurs plus partie d’aucun groupe politique, pour l’instant. Ceci dit, actuellement les lignes bougent. Ces jours-ci, il est question d’un potentiel nouveau groupe politique au Parlement européen réunissant le Fidesz, Ano de la République tchèque – qui vient de quitter le groupe Renew, ndlr – et Smer de Slovaquie – à voir, ce reportage récent d’Arte sur le contrôle des médias en Slovaquie (2 minutes 40), ndlr. Ces trois partis totalisent 23 députés européens et pourraient constituer un premier pas vers un Visegrád 3, lequel a besoin d’au moins 25 députés européens de sept pays différents. Orbán continue donc d’avancer ses pions et de spéculer sur le moment difficile que traverse l’Union. D’autant que l’actuelle fragmentation du Parlement européen, ainsi que son évolution vers la droite, pourrait fragiliser Ursula von der leyen, récemment réélue à la tête de la Commission européenne. Visegrád a pris du plomb dans l’aile mais il peut renaître, et pas nécessairement dans une formule plus bénéfique pour l’UE et son avenir.
Propos recueillis par Carmen Constantin.