Après un premier entretien dans Regard, la lettre du 19 décembre dernier, Corneliu Bjola, professeur associé d’Études diplomatiques à l’université d’Oxford, analyse la situation en Ukraine…
Voyez-vous un dénouement prochain du conflit qui ronge de façon intermittente la partie orientale de l’Ukraine entre les forces pro-gouvernementales et les indépendantistes pro-russes ?
La récente crise dans l’est de l’Ukraine a intensifié les relations entre Kiev, Bruxelles et Washington. Pour le moment, la situation semble désamorcée, mais une question demeure : quelle direction le conflit va-t-il prendre ? Il semblerait que toute cette crise ait quelque chose à voir avec la politique intérieure de la Russie, elle a notamment coïncidé avec l’arrestation d’Alexeï Navalny, le principal opposant au président russe Vladimir Poutine. Ce dernier tenterait ainsi de focaliser l’attention sur les problèmes intérieurs afin de mobiliser l’électorat russe via un discours nationaliste et l’impression que la Russie serait un pays assiégé par l’Occident. Pendant ce temps, les sanctions économiques causent des dommages importants et, à moyen terme, la situation dans ce domaine ne devrait pas s’améliorer. Face à la déception de la population, des crises comme celle en Ukraine pourraient revenir périodiquement, elles permettent entre autres de redorer l’image du président russe chez lui. Du côté des Européens, seule se dégage la position du président français. Emmanuel Macron propose un modèle de coexistence avec Moscou contesté principalement par les pays du flanc oriental de l’Union européenne, du nord au sud. Il privilégie une approche ponctuelle, qui suppose qu’il y ait des domaines où il peut y avoir une certaine collaboration. Cette stratégie rejoint celle du président américain Joe Biden. D’un côté, le locataire de la Maison-Blanche est déterminé à empêcher toute tentative de la Russie d’étendre son influence. De l’autre, Biden voit la possibilité de certaines collaborations ponctuelles, par exemple en Afghanistan ou concernant la lutte contre le changement climatique.
De la Russie à la Biélorussie, au vu des attitudes très autoritaires de certains dirigeants, la région pourrait-elle s’enfoncer dans une sorte de guerre froide durable entre l’Est et l’Ouest ?
Ce qui se passe en Biélorussie crée davantage de problèmes pour Poutine que pour les Européens. Mais le président russe n’a d’autre choix que de soutenir Alexandre Loukachenko – le président biélorusse qui conduit un régime autoritaire voire jugé dictatorial depuis 1994, ndlr. Sans quoi il pourrait perdre son influence sur la Biélorussie de la même façon qu’il l’a perdue sur l’Ukraine. Toutefois, ce soutien à Loukachenko comporte un coût très élevé ; Moscou fait face à des sanctions économiques continues imposées par l’Occident. Il est par ailleurs intéressant de noter qu’une fois tous les dix, quinze ans, la crainte d’un conflit ouvert en Europe resurgit. En attendant, nous sommes déjà dans une situation de guerre froide. Il n’y a qu’à voir comment Moscou a expulsé des diplomates européens au moment même de la visite de Josep Borell – le chef de la diplomatie européenne, ndlr – à Moscou, début février. Cela donne le sentiment que la Russie ne veut plus dialoguer avec l’Union. D’un autre côté, elle est ouverte au dialogue avec certains pays membres, comme la Hongrie de Viktor Orbán. Et cela pour une raison évidente ; un État seul est éventuellement susceptible d’être influencé. Le signal constant de Poutine est qu’aucune sanction, aucune pression de l’Occident ne changera sa politique intérieure. Le cas Navalny a montré que lorsque la survie de son régime était en jeu, rien ne pouvait l’arrêter. Une petite guerre froide s’est effectivement installée, et elle risque de perdurer.
Quel est l’état actuel des relations entre Bucarest et Kiev ?
À cause de la Russie, la Roumanie et l’Ukraine sont condamnées à coopérer. Les relations sont bonnes, sans être excessivement cordiales. Leurs liens commerciaux se sont développés, mais l’Ukraine exporte davantage vers la Roumanie que l’inverse. Par ailleurs, Bucarest a systématiquement soutenu la position de l’Ukraine dans le conflit avec la Russie, n’a jamais reconnu l’annexion de la Crimée et, par rapport à il y a quelques années, exprime désormais de façon ouverte son désaccord avec les actions de la Russie. Plus récemment, la Roumanie défend également l’Ukraine sur le plan cybernétique via un nouveau centre de l’OTAN à Bucarest. Mais l’aggravation de la situation en Ukraine pourrait avoir des conséquences en Roumanie, notamment si le conflit commence à toucher la république de Moldavie. Il est donc d’autant plus essentiel pour Bucarest de poursuivre sa collaboration avec Kiev.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
Article du 8 juin dernier sur la consolidation des liens entre l’Ukraine, la république de Moldavie et la Géorgie dans la perspective d’un avenir européen :