Corina Sabău est romancière et journaliste à Radio Roumanie Internationale. Elle parle ici de son dernier livre et de ses sources d’inspiration…
Votre dernier roman Și se auzeau greierii (Et on entendait les grillons, ndlr), à paraître bientôt en français chez Belleville Éditions (1), se passe sous le communisme et traite de l’interdiction des avortements par le régime de Ceaușescu. Pourquoi ce sujet ?
L’idée m’est venue après avoir regardé le documentaire de Florin Iepan « Născuți la comandă. Decrețeii » (2) qui se penche sur la tragédie provoquée au sein de la société roumaine par le décret 770 interdisant les avortements, émis par Ceaușescu en 1966. Et parmi tous les témoignages présentés, il y en a un qui m’a particulièrement touché ; l’histoire d’une femme morte des suites d’une IVG illégale et dont la dépouille fut exposée par les responsables de l’époque, au sein même de l’usine où elle travaillait, dans le seul but de terroriser les autres ouvrières. Cette histoire m’a beaucoup marqué, surtout qu’elle n’est pas si ancienne que ça. Aujourd’hui, la façon dont la société roumaine perçoit la femme reste problématique. J’ai commencé à écrire mon livre en 2016. La même année, selon un sondage d’opinion, 55% des Roumains considéraient que le viol pouvait être justifié sous certaines conditions (3). Et quand on voit ce qui se passe en Pologne ou encore l’ascension fulgurante en Roumanie d’un parti ultra-conservateur comme AUR (Alianța pentru Unirea Românilor, ndlr), il y a de quoi s’inquiéter.
(1) https://www.leslibraires.fr/livre/18440681-et-on-entendait-les-grillons-corina-sabau-belleville-editions – Traduit par Florica Ciodaru-Courriol.
(2) http://docuart.ro/documentare/nascuti-la-comanda-decreteii
Plus généralement, sur quoi aimez-vous écrire ?
Je ne pense pas choisir mes sujets en fonction de mes centres d’intérêt, mais plutôt selon l’impact qu’ils ont sur moi. Tous mes livres diffèrent en termes de thématique. Par exemple, en ce moment, je suis en train d’écrire un roman qui commence par une scène où un jeune homme rentre chez lui au petit matin et avoue à sa compagne avoir perdu leur appartement au poker. Du coup, cette femme se voit obligée de repartir de zéro. Je ne saurais pas dire pourquoi un tel sujet s’est imposé à moi, peut-être que c’est après avoir vu, au début de la pandémie, toutes ces images de gens qui se bousculent dans les aéroports pour partir en Allemagne faire la cueillette aux asperges. Des individus qui n’arrivent pas à gagner leur vie dans un pays comme le nôtre. Cela me fait mal de voir que ces réalités existent toujours dans la Roumanie d’aujourd’hui.
Parallèlement à votre travail d’écrivain, vous menez une carrière de journaliste. Comment vivez-vous ces deux métiers ?
Être journaliste m’aide beaucoup puisque c’est un métier grâce auquel je rencontre des gens, j’apprends leurs histoires, et je reste attentive à tout ce qui se passe autour de moi et dans la tête des autres. Or, pour un écrivain, il est essentiel de faire attention aux autres, en tout cas pour le genre d’écrivain qui compte pour moi, à savoir l’écrivain avec de l’empathie. Je pense que le journalisme confère aussi une certaine dynamique à mon écriture.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.