Entretien réalisé le lundi 10 juin en début d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Constantin Chiriac est le président du Festival international de théâtre de Sibiu (FITS) dont la nouvelle édition va débuter le 21 juin prochain. L’occasion d’évoquer les points forts du programme de cette année…
Comment le festival de théâtre de Sibiu est-il parvenu à devenir l’un des événements culturels marquants de Roumanie ?
Parce qu’il a su évoluer d’année en année. Fondé en 1993, au début il y avait peu de pays participants. Mais en 2005, il en accueillait déjà 68. Pour l’édition 2024 – la 31ème, ndlr –, il y aura 830 événements répartis dans 83 lieux différents avec 100 000 spectateurs par jour, sans oublier 6 à 7 millions d’autres qui suivront les spectacles à distance. D’emblée, notre festival s’est appuyé sur une importante communauté locale. La ville de Sibiu, au cœur de la Transylvanie, possédait le premier théâtre d’Europe centrale et orientale, un théâtre en langue allemande qui a ouvert ses portes en 1788. Dès la première édition du festival en 1993, il y avait cette idée de faire vivre une communauté grâce à un événement culturel d’envergure. À partir de 2002, j’ai proposé aux responsables culturels et politiques du pays de faire de Sibiu une Capitale européenne de la culture. Ce fut chose faite en 2007 qui fut pour nous une édition exceptionnelle, actant la contribution de notre événement à ce titre prestigieux. Nous sommes également parvenus à tisser des liens avec les plus grands théâtres du monde, comme le Théâtre de la Ville de Paris ou le Kennedy Center, pour ne citer qu’eux. Avec la Sorbonne, à partir de 2014, nous avons également réussi à mettre en place une plate-forme doctorale sur les arts du spectacle et la gestion culturelle. De fait, la France a toujours été le partenaire le plus solide du festival, à l’image des nombreux spectacles français programmés cette année encore.
Précisément, que pouvez-vous nous dire sur la programmation 2024 ?
Le thème principal de cette édition est l’amitié, une sorte de mantra qui colle parfaitement à l’identité du festival. L’ouverture officielle se fera avec le Chœur Madrigal et aura lieu dans la cour du Musée d’histoire, un espace qui, selon moi, n’a rien à envier à la Cour d’honneur du Palais des papes d’Avignon. Je précise que les artistes Tim Robbins et Pippo Delbono participeront à ce spectacle d’ouverture. Autres célébrités présentes, John Malkovich et Jon Fosse, sans oublier une installation cinématographique conçue et créée par l’artiste belge Jan Fabre en collaboration avec le chorégraphe et danseur Mikhail Baryshnikov. Il y aura aussi Isabelle Adjani pour Les murmures de l’âme de Valérie Six, ainsi que la compagnie Le Fils du Grand Réseau de Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan avec le spectacle Les Gros patinent bien – cabaret de carton (Prix Molière 2022 du meilleur spectacle, ndlr). Mentionnons aussi Peaux Rouges de la compagnie Colbok.
Pouvez-vous décrire l’atmosphère qui règne à Sibiu pendant le festival ?
Cette année, nous nous produirons donc dans 83 espaces différents, des lieux que nous avons aménagés au fil des années. Sibiu ne dispose pas d’une infrastructure culturelle solide, ni de beaucoup de salles de spectacle, il faut bien l’admettre. Nous avons donc utilisé des espaces industriels rénovés, comme Fabrica de Cultură qui accueille quatre espaces de jeu, et nous faisons sortir le festival dans les rues de la ville. De fait, le FITS est le seul festival au monde ayant des représentations dans chacune des églises de cultes différents que comprend la ville. L’engouement est réel ; chaque année, ce sont entre 15 et 20 000 jeunes du monde entier qui souhaitent être bénévoles à Sibiu. Environ 550 sont présents pendant toute la durée du festival, et ceux qui viennent de l’étranger logent en général chez des bénévoles. Le festival est également accessible en termes de prix puisque les billets vont de 6 à 30 euros. Et toutes les représentations de rue sont gratuites. Sibiu est probablement l’un des meilleurs exemples de développement économique d’une communauté grâce à l’impact d’un événement culturel. J’ai eu la chance d’être pendant cinq ans membre du jury de la Commission européenne décernant le titre de Capitale européenne de la culture. Je me suis alors rendu compte que Sibiu était l’une des villes qui investissait le plus dans la culture. Si en moyenne l’argent alloué à la culture ne dépasse pas 1,2 % du budget total des centres urbains, Sibiu investit 14 % de son budget public dans ce secteur. Et jusqu’à présent, cela lui a plutôt souri, tant en termes d’image que de finances.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.