Mi-janvier, quatre bisons ont été retrouvés morts dans les monts Țarcu, à l’ouest du pays. L’analyse des cadavres a conclu qu’au moins deux d’entre eux avaient été tués par des chiens errants semi-sauvages. Magor Csibi, directeur de WWF (World Wildlife Fund) en Roumanie, parle de l’incident et de ces hordes de chiens qui perturbent l’écosystème des forêts.
Regard : Que s’est-il passé mi-janvier dans les monts Țarcu ?
Magor Csibi : Il faut replacer l’incident dans son contexte. Au printemps de l’année dernière, notre association a mené un programme d’introduction de quatorze bisons dans les monts Țarcu. Le premier hiver est pour eux une mise à l’épreuve, le groupe passe par un processus d’acclimatation. Les quatre spécimens dont on parle se sont montrés particulièrement faibles, ils ont eu des difficultés à s’adapter à l’état sauvage. De plus, il y a un instinct de survie au sein du groupe, ces bisons ont été rejetés pour ne pas attirer l’attention des prédateurs sur l’ensemble du troupeau. Nous avons pu vérifier avec certitude que deux d’entre eux avaient été tués par des chiens. Pour les deux autres, nous avons observé des traces de morsures, mais nous ne pouvons pas faire de lien direct avec leur mort. Quand nous avons débuté ce projet de repeuplement, notre intention n’était pas de placer les bisons dans une position dominante par rapport au reste de la faune sauvage. Nous nous attendions clairement à ce que des prédateurs puissent les attaquer. Si ces quatre bisons avaient été tués par des loups, nous ne nous serions pas vraiment inquiétés, cela aurait été dans la nature des choses.
D’où viennent ces chiens qui se déplacent en horde dans les forêts et qui peuvent attaquer d’autres animaux ?
Ils s’agit de chiens capturés dans les villes et rejetés en campagne, ou bien de chiens tout simplement abandonnés, mais aussi d’animaux de deuxième génération qui sont nés à l’état sauvage ou semi-sauvage.
Pourquoi ce phénomène vous inquiète-t-il ? Les chiens ne sont-ils pas des animaux comme les autres ?
En milieu forestier, non, pas vraiment. Le loup est bien mieux intégré que le chien dans l’écosystème. La manière dont il chasse ne dérange pas l’équilibre existant. Les chiens, eux, sont opportunistes, ils dérangent tous les animaux. Leurs habitudes de chasse sont complètement différentes de celles des autres mammifères, tout comme leur comportement. Les animaux de la forêt cohabitent avec les loups depuis des milliers d’années, ils connaissent leurs habitudes et savent comment se protéger. La présence des chiens les perturbe.
Par ailleurs, ils se reproduisent plus rapidement que les loups…
Effectivement, les loups ne se multiplieront jamais plus que nécessaire sur le territoire qu’ils dominent. Cet instinct n’existe pas chez le chien, qui s’est trop habitué à l’homme et n’a pas gardé cette connexion avec la nature. La multiplication des chiens est exponentielle, ils pourraient bientôt dépasser le nombre de loups. Ceci étant, il n’y a pas de concurrence directe entre eux, les loups restent plus forts. Le problème concerne plutôt la nourriture disponible. Si les chiens chassent et dérangent tous les animaux de la forêt, les loups auront des difficultés à trouver leurs proies. L’équilibre de la forêt sera donc mis à mal et nous ne pouvons pas en connaître les conséquences, pour l’instant.
La présence de ces chiens en milieu sauvage est-elle un phénomène important en Roumanie ?
Difficile à dire. Nous ne connaissons même pas le nombre exact d’ours, alors qu’ils sont bien plus faciles à observer que les loups ou les chiens. Au niveau national, les ONG spécialisées dans l’observation des grands carnivores estiment que ces chiens sauvages sont des dizaines de milliers, voire plus de 100 000. Le plus urgent reste le travail en amont, c’est-à-dire la gestion des chiens errants dans les villes. Dans bien des cas, les mairies les capturent et les relâchent dans la nature. Il faudrait donc d’abord veiller à ce que la loi soit respectée, puis savoir combien de chiens vivent en milieu sauvage afin de suivre leurs habitudes de migration, de chasse, de reproduction, et ainsi établir une stratégie.
S’agit-il d’un problème nouveau ?
Relativement, oui. Depuis quelques années, de plus en plus d’observateurs qui travaillent sur le terrain nous disent que le nombre de chiens augmente dans les forêts. Et depuis que les villes, sous la pression de la population, cherchent à tout prix à se débarrasser de leurs chiens errants, leur présence en milieu sauvage a pris de l’ampleur. Nous savions qu’il existait une population de chiens abandonnés autour des grands parkings ou le long des routes nationales, mais il ne s’agissait pas de hordes et encore moins de prédateurs dominants. A l’heure actuelle, dans les monts Țarcu, la horde qui domine est celle des chiens et non pas celle des loups ou d’un autre animal.
Cela peut-il devenir dangereux pour l’homme, notamment les promeneurs ?
Le danger existe, surtout si la population de ces chiens devient de plus en plus territoriale. On peut penser que les chiens sauvages ne sont pas encore très sûrs d’eux et qu’ils continuent de rôder autour des habitations, des villages. Mais quand ils commenceront à mieux connaître leur territoire, comme c’est le cas avec les chiens de berger, alors la situation deviendra plus compliquée.
Propos recueillis par Jonas Mercier (mars 2016).