Elle vient d’arriver, avec un peu de retard, enlève sa petite veste et dépose délicatement son sac au pied de la table. Son regard repère les gens de cette jolie terrasse ombragée du centre de Bucarest. Rapidement, avec discrétion. Il est 19 heures, l’air est encore chaud. Les sourires sont nombreux, quelques rires fusent, les gestes sont détendus. Elle commande une limonade avec de l’eau pétillante, sans sucre et avec du citron vert. La conversation n’a pas encore démarré, pourtant cela fait déjà quelques minutes que nous sommes assis. La limonade arrive, assortie à son chemisier, sa féminité irait-elle jusque-là ? Autre regard panoramique avant une première gorgée. Elle semble enfin prendre un rythme plus lent, celui de la terrasse enveloppée de sons bossa nova. Et commence à raconter, ses envies, ses rêves, pose quelques questions, courtes, pertinentes, qui désarçonnent un peu. Mais elle est bienveillante et n’attache pas vraiment d’importance aux faits, plutôt à la façon. Une fraction de seconde, ce même regard qui scrutait les tables voisines se pose sur ma main droite. Je me demande ce qu’elle y voit, je sens qu’elle aura compris à ce moment-là quelque chose d’imperceptible. Doucement, elle se courbe un peu, prend son petit sac et me dit qu’elle revient, « immédiatement ». Je la regarde s’éloigner, elle le sait. Ses pas sont amples, assurés, le dos parfaitement droit. Plusieurs minutes passent. Autour de moi, le niveau sonore a augmenté d’un cran, on en est à la deuxième bière. La musique de Vinicius de Moraes et Toquinho est toujours là, en parfaite harmonie avec la luminosité du moment, joyeusement nostalgique. Elle revient, souriante. Quelque chose a changé dans son apparence mais je ne saurais dire quoi. Le rouge à lèvres est resté très léger. Soudain, son téléphone émet un petit son, elle y jette un œil, fronce légèrement les sourcils. Peut-être un autre homme, ou sa mère. Il ne reste plus que les citrons verts au fond de sa limonade, elle penche le verre, attrape une tranche avec les doigts et commence à la ronger. La forte acidité semble lui plaire. On continue la conversation, quelques silences élégants s’interposent. Puis il est temps de partir, elle me remercie pour la boisson, reprend sa petite veste et son sac. Je l’accompagne vers la sortie, une main derrière son dos sans la toucher. Elle me dit au revoir et s’en va, légère, joyeuse. Une femme, au début de l’été.
Laurent Couderc (mai 2015).