D’ici 2021, Timişoara déploiera son titre de Capitale européenne de la culture. La ville pourrait-elle aussi devenir la capitale de la pollution ? Certains habitants le craignent et espèrent que les autorités réagiront à temps pour limiter les conséquences d’un malaise environnemental grandissant.
Ces derniers temps, Timişoara s’illustre par un triste record : le plus fort taux de voitures en Roumanie. « Actuellement, plus de 160 000 véhicules sont immatriculés dans la ville, et 140 000 autres y transitent chaque année. À cela, si on rajoute les voitures des habitants des autres départements, nous finirons par avoir plus de voitures que d’habitants », déplore Dan Diaconu, vice-maire.
Comme la ville n’a pas été conçue pour gérer une telle circulation, les embouteillages se multiplient et les chauffeurs vont jusqu’à improviser des places de parking sur les pistes cyclables ou sur certains espaces verts.
Cet afflux menace la qualité de l’air. « Chaque jour, je parcours le même trajet à vélo pour me rendre au travail, et je sens que l’air est de plus en plus pollué. Ce n’est pas très scientifique, mais je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué », note Mihai Cojocaru, initiateur du groupe civique « Timişoara durable ».
Les inquiétudes des habitants sont d’autant plus fortes que parmi tous ces véhicules, plusieurs milliers arrivent d’Europe de l’Ouest et sont revendus d’occasion, peu importe leur ancienneté. « Le gouvernement a commis une grave erreur en retirant la taxe sur l’environnement. Beaucoup de voitures échappent à tout contrôle », alerte le vice-maire.
Selon l’Agence pour la protection de l’environnement du département de Timiş, le trafic routier a devancé les usines au rang de principal émetteur de PM10. Ces particules en suspension, dont le diamètre est inférieur à 10 µ, peuvent provoquer des maladies cardio-vasculaires et respiratoires, ou des cancers pulmonaires. « Vers 2010, nous avons eu plusieurs années de non-conformité, ce qui a valu à Timişoara d’être placée en procédure de « pre-infringement« par la Commission européenne. Ceci dit, les valeurs que nous mesurons aujourd’hui sont meilleures », rassure Doina Marin, directrice de l’agence.
D’après la loi roumaine, la santé humaine est en danger à partir du moment où les concentrations de PM10 dépassent la moyenne quotidienne de 50µg/m3 plus de 35 fois par an. « En 2016, trois des cinq stations placées dans Timişoara ont relevé des valeurs supérieures, la TM-1, 10 fois, la TM-2, deux fois, la TM-5, 23 fois, mais aucune n’a cumulé 35 excès », précise Doina Marin.
Si ces chiffres relativisent les risques sanitaires du trafic routier, les pneumologues disent recevoir de plus en plus de patients atteints de maladies respiratoires… « Parce qu’ils sont plus conscients de leur santé ou parce qu’ils sont davantage touchés ? Difficile de répondre », nuance Dorin Vancea, chef du service de pneumologie de l’hôpital Victor Babeş. L’année dernière, une doctorante a recensé un nombre de broncho-pneumopathies chroniques obstructives plus important dans le département qu’ailleurs dans le pays. « La cigarette est responsable, mais plusieurs facteurs sont propres à Timişoara. La ville est construite sur des marécages et les allergies dues à l’ambroisie se développent. Beaucoup de personnes habitent dans les sous-sols et souffrent de l’humidité. Mais l’automobile reste le problème numéro un. La pollution dégagée par le diesel notamment produit un déséquilibre dans notre métabolisme entre oxydants et anti-oxydants, et diminue notre résistance à des maladies comme la pneumonie ou le cancer », poursuit le médecin.
Des mesures fiables ?
Un signal d’alerte relayé par plusieurs citoyens qui commencent à douter de la sincérité des autorités. « Le ministère de l’Environnement a créé un site Internet sur lequel on peut suivre en direct la qualité de l’air. Il arrive souvent qu’à Timişoara, les valeurs de PM10 ne soient pas communiquées pendant plusieurs heures, a remarqué Răzvan Anghelescu, co-fondateur du groupe « Nous voulons un air propre ». Il n’est pas exclu que les autorités cessent de communiquer les indices quand ils deviennent trop mauvais. J’essaie actuellement de récupérer les données quotidiennes de ces deux dernières années afin de voir si une corrélation existe entre interruption et augmentation des indices. »
Les interrogations de Răzvan portent aussi sur le relevé des PM2,5, encore plus nocives que les PM10. « Une seule station les mesure à Timişoara, et elle n’a pas transmis de valeurs pendant quatre mois en 2016 », s’indigne-t-il.
Conscientes que l’atmosphère de la ville se détériore, les collectivités cherchent des solutions. Première étape : la fluidité du trafic et la fermeture des six anneaux de circulation de la ville.
Ainsi, des chantiers prennent place pour élargir les grandes artères. Mais l’association des paysagistes reproche à la mairie son manque de vision. « Sur l’une des routes qui mène à un grand centre commercial, ils ont rogné sur l’espace-tampon entre la chaussée et le trottoir, réservé aux espaces verts, et ont supprimé les châtaigniers et les tilleuls qui avaient un rôle important dans la purification de l’air. Les feuilles de ces arbres ont une partie poreuse qui absorbe les particules et la poussière et les retient. Ils les ont remplacés par des magnolias qui ont une fonction décorative mais non régulatrice », regrette Raluca Rusu, vice-présidente de l’association.
« Ailleurs, la mairie a fait couper des arbres matures alors qu’elle n’en avait pas l’autorisation. Elle a reçu des amendes de la Garde nationale pour l’environnement, mais le mal était fait. C’est vrai, la ville compte beaucoup de parcs, mais cela ne suffit pas. Les espaces verts ne nous protégeront que s’ils sont pensés dans leur ensemble », rajoute Rebecca Bedelean, jeune paysagiste.
Une question les taraude : tous ces aménagements ne vont-ils pas attirer davantage de véhicules et de pollution ? La municipalité a sa réponse… « Bien sûr, nous voulons remplacer les voitures par les transports alternatifs, mais cela va prendre du temps et nous devons trouver un équilibre pour chaque étape. Partout où nous refaisons une rue, nous incluons une piste cyclable et d’ici 2020, nous allons renouveler une première partie des transports publics », précise le vice-maire de Timişoara. D’ici 2030, la ville prévoit d’investir entre 539,2 et 785,5 millions d’euros dans son plan de mobilité urbaine durable.
« En plaçant la circulation des voitures au cœur des priorités, on dépollue juste le présent. Résoudre les embouteillages n’est qu’une solution à court terme. Nous reproduisons les erreurs commises par les grandes villes d’Europe de l’Ouest dans les années 1970, alors que la plupart ont désormais trouvé des solutions. Pourquoi ne nous en aspirons-nous pas ? », se demande Mihai Cojocaru, du groupe « Timişoara durable ».
En 2016, ce jeune de 27 ans a passé une semaine aux côtés du maire de Timişoara, après avoir remporté un concours intitulé « Timişoara, capitale verte de la mobilité en Roumanie ». Son projet : repenser dès maintenant l’aménagement urbain. « Les tramways et les voitures circulent souvent sur la même voie, donc les transports en commun ne présentent aucun avantage. J’ai proposé de relier un long boulevard de la sortie de la ville, aujourd’hui réservé aux voitures, à une ligne de tram, et de découper l’espace ainsi : le trottoir, un espace vert, une voie de circulation pour les voitures, une voie pour le tramway puis la même chose de l’autre côté. Les premiers mois, la mairie pourrait commencer par faire fonctionner la ligne de tramway sur une tranche horaire bien précise, communiquée aux habitants. Puis, si nous remarquons qu’ils optent plutôt pour le tramway, multiplier les tranches horaires et étendre la période test, pérenniser la ligne et développer la même idée ailleurs, se souvient-il, enthousiaste. Mais le maire m’a répondu qu’il avait sa propre stratégie. »
« On aura de bons résultats seulement si on applique les bonnes pratiques. On a forcé les gens à acheter une voiture à cause du manque de transports en commun. Il est temps de leur donner le choix, pour le bien de leurs enfants et de leurs poumons », lance Mihai. Il espère rassembler dans les prochains mois suffisamment d’experts en urbanisme durable pour renforcer sa vision d’une Timişoara durable et la faire accepter par les autorités.
L’autre pollution olfactive
À certaines heures de la journée, une odeur de caoutchouc brûlé envahit les rues des quartiers Nord-est de Timişoara. Quelque 25 000 habitants s’en plaignent et n’osent parfois plus ouvrir leurs fenêtres. L’usine Continental, située à quelques mètres de distance des premières maisons, dégage cette odeur. Depuis 2000, elle y a fabriqué 200 millions de pneus. « Nous avons saisi la Garde nationale pour l’environnement, qui répète ne pas pouvoir intervenir sur cette gêne olfactive faute de cadre législatif. Pourtant, notre corps, lui, rejette cette odeur. Nous ne savons pas si elle est toxique, mais il serait bien de prévenir d’éventuelles complications. De plus, la Constitution nous garantit le droit à un environnement équilibré », explique Adrian Stoica, un des voisins de l’usine. Il n’en veut pas à Continental Anvelope, qui emploie 2500 personnes sur ce site, mais aux différentes autorités, car aucune ne s’est mouillée. « En regardant autour de nous, nous avons réalisé que d’autres Roumains se plaignaient de mauvaises odeurs, à Iaşi ou à Oradea, à cause de fermes d’animaux, près d’Hunedoara aussi, où 700 personnes ont signé une pétition contre les odeurs émises par une usine de farine protéinée, complète Rodica Militaru, habitante de Timişoara. Elle a d’ailleurs saisi les membres du parti Union Sauvez la Roumanie (USR) sur la question. Depuis l’été dernier, la Commission pour l’environnement du Parlement planche toutefois sur un projet de loi définissant la pollution olfactive. « L’idée est d’introduire dans la loi roumaine la possibilité d’utiliser des outils d’olfactométrie dynamique qui existent déjà au niveau européen. Ils ont la capacité d’identifier l’intensité d’une odeur et d’alerter quand cette dernière dépasse un certain seuil de tolérance. Nous comptons aussi établir un programme de sanctions pour les structures qui ne respecteraient pas ce niveau », décrit le député USR Cornel Zaina.
Aline Fontaine (décembre 2017).