Nouvel entretien avec Anna Krasteva, professeure de sciences politiques à la New Bulgarian University de Sofia, sur la crise politique majeure qui secoue actuellement la Bulgarie*…
Le parti anti-système « Un tel peuple », fondé en 2019 par Slavi Trifonov, chanteur et vedette de télévision, a remporté les élections législatives du 11 juillet dernier, les deuxièmes cette année. Une victoire qui assomme le parti GERB du Premier ministre Boïko Borissov, au pouvoir depuis plus d’une décennie. Mais le parti « Un tel peuple » n’a pas réussi à former un gouvernement avec les socialistes et d’autres partis jusqu’alors dans l’opposition. De nouvelles élections se profilent en novembre, législatives et présidentielles. Comment en est-on arrivé là ?
2021 est assurément une année majeure dans l’histoire contemporaine de la Bulgarie. Suite aux élections de juillet, la période sonne le glas de l’époque du Premier ministre Boïko Borissov et de son parti GERB. Tout s’est emballé à partir de l’été 2020, il y a un an, quand des manifestations citoyennes importantes ont eu lieu contre la corruption de la classe politique. Une corruption endémique, caractéristique des années Borissov, qui a notamment concerné les fonds européens, accaparés par des petits cercles proches du pouvoir. Un système clientéliste dénoncé autant par Bruxelles que Washington. Cependant, Boïko Borissov a su jouer la carte de l’anti Viktor Orbán (Premier ministre hongrois, ndlr), et a toujours soutenu la politique de Bruxelles dans les grandes lignes. Du coup, il n’a pas été inquiété.
* À lire ou à relire, notre premier entretien avec Anna Krasteva du 27 mars dernier : https://regard.ro/anna-krasteva/
Est-il probable que Slavi Trifonov devienne le prochain Premier ministre ?
Il y a peu de chance, et cela pour plusieurs raisons. Lors des deux premières élections parlementaires, il n’a pas manifesté son intention de devenir Premier ministre, préférant mettre en avant d’autres personnalités de son parti ou extérieures à son parti. D’autre part, il semblerait que Slavi Trifonov ait quelques soucis de santé. Cela fait d’ailleurs des mois qu’il ne sort plus de son bureau. Quoi qu’il en soit, je voudrais insister sur le fait que le vote pour les trois partis dits de protestation, dont le parti « Un tel peuple », est en soi un phénomène extraordinaire après toutes ces années sous l’hégémonie de Borissov. Au-delà de ce que ces partis représentent, le résultat des dernières élections montre surtout le réveil de la société civile, qui se veut avant tout pro-européenne et anti-corruption. D’un autre côté, « Un tel peuple » ne peut se prévaloir que de 64 députés au parlement sur 240. Or, afin de former un gouvernement, il a besoin du soutien de 121 députés, et donc de mettre en place une coalition. Mais Trifonov s’est approprié la victoire sans l’intention de la partager avec les autres partis votés par les Bulgares, « Bulgarie démocratique » et « Lève-toi.BG », d’où le blocage actuel.
Que risque-t-il de se passer en novembre ?
La société civile qui, par deux fois cette année, a voulu la chute de GERB, est aujourd’hui sans doute très déçue de voir que ceux pour qui elle a voté n’arrivent pas à s’entendre. Ces électeurs risquent donc de retirer leur soutien. Seule la coalition « Bulgarie démocratique », rassemblant autant des partis de droite pro-européens que les Verts, monte un peu dans les intentions de vote, car elle a toujours soutenu l’esprit des réformes. Mais certains sondages prédisent le retour de GERB au pouvoir. Quant à l’élection présidentielle, elle confirmera Roumen Radev à son poste, il jouit d’une forte popularité et n’a pas de rival pour l’instant, les partis tardant à proposer leur candidat. D’ailleurs, le gouvernement intérimaire qu’il a formé, majoritairement constitué de technocrates, bénéficie du soutien d’une grande partie de la population, qui souhaiterait même que deux de ses ministres forment un nouveau parti porteur du changement amorcé.
Propos recueillis par Olivier Jacques.