Entretien réalisé le jeudi 7 mars en fin de journée, par téléphone et en français.
Andrei Luca, directeur du développement au sein de l’association MozaiQ, revient sur la situation des droits des personnes LGBT+ en Roumanie…
L’année dernière, votre association a réalisé un Baromètre d’opinion sur la communauté LGBT+ en Roumanie. Que révèlent vos chiffres sur la société roumaine ? Comment les choses ont-elles évolué depuis l’abrogation de l’Article 200 en 2001 qui a dépénalisé l’homosexualité dans le pays ?
Avec ce baromètre, nous avons effectivement essayé de mettre en lumière l’opinion de la population concernant différentes thématiques relatives aux droits des personnes LGBT+. Nous avons donc posé plusieurs questions aux participants – 1110 au total sur l’ensemble du pays, ndlr. Par exemple, quelles sont, d’après eux, les catégories d’individus les plus discriminées en Roumanie, ou ce qu’ils pensent de l’adoption d’un enfant par un couple homosexuel. On entend souvent dire que la société roumaine n’est pas prête. Or, ce baromètre montre que les choses sont très nuancées. Les réponses ont révélé que 31 % de la population générale et 48 % des 18-27 ans soutenaient le partenariat civil entre deux personnes de même sexe. Par ailleurs, toujours selon notre baromètre, 60 % des habitants de Bucarest se disent prêts à voter pour un représentant politique qui soutiendrait les droits LGBT+. Parallèlement au Baromètre, nous avons également lancé une campagne nationale pour promouvoir l’adoption du partenariat civil, avec des dizaines d’affichages dans cinq villes de Roumanie. Il y a aussi eu une campagne vidéo confectionnée par le réalisateur Bogdan Theodor Olteanu, avec la participation bénévole d’acteurs comme Maria Popistașu, Victoria Răileanu et Alexandru Ion. Sans oublier la radio avec des spots sur Radio Guerrilla et EuropaFM, toujours avec le soutien bénévole de personnalités roumaines telles qu’Irina Margareta Nistor, Tudor Chirilă ou encore Ilinca Manolache. Les choses bougent. Mais malheureusement, je ne pense pas que beaucoup de progrès aient été réalisés du point de vue légal ou juridique. Si la société évolue, la classe politique notamment reste très conservatrice.
Selon vous, l’homophobie en Roumanie est-elle encore très présente ?
Chez MozaïQ, nous accueillons de nombreuses victimes d’homophobie ayant subi des violences ou des discriminations. À bien des égards, la société roumaine reste homophobe. N’oublions pas que l’homosexualité a été considérée comme un crime pendant près de 70 ans sous le régime communiste. Même si elle a été dépénalisée en 2001 avec l’abrogation de l’Article 200 du Code pénal roumain, on ne se débarrasse pas si facilement d’un tel héritage. En outre, comme je l’ai déjà mentionné, il existe selon moi un décalage entre l’opinion publique et la classe politique, cette dernière étant beaucoup plus conservatrice. Le problème est que les opinions plus tolérantes ne se reflètent pas forcément dans les urnes ; le taux de participation aux dernières élections législatives fut de seulement 32 %. Je pense que cette partie de la population qui soutient le partenariat civil aurait le pouvoir de changer notre classe politique. Si elle décidait d’aller voter.
Début juin de l’année dernière, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la Roumanie qui continue de ne pas reconnaître les couples de même sexe dans sa législation. Quel effet cela a-t-il eu ?
À la suite de cette décision, notre Premier ministre Marcel Ciolacu a déclaré que la Roumanie n’était pas prête à reconnaître le partenariat civil pour les couples de même sexe. Depuis 2001, après la dépénalisation des relations homosexuelles, plusieurs décisions de ce genre ont été rendues par différentes instances européennes. Je pense, par exemple, à l’affaire Relu Adrian Coman en 2018. La pression de l’UE est évidemment importante. Cette dernière dispose de mécanismes pour encourager le développement de sociétés inclusives. Mais on ne peut pas forcer l’inclusion et la diversité. Et malheureusement, en cette année électorale, je ne crois pas que la thématique LGBT+ sera abordée. Mais je veux rester optimiste, j’ai confiance en la société roumaine. Il n’y a qu’à voir comment la Marche des Fiertés est désormais un événement inscrit dans l’agenda de plusieurs villes de Roumanie, et ce depuis le début des années 2000.
Propos recueillis par Charlotte Fromenteaud.