Entretien réalisé le mercredi 10 janvier en fin de journée, par téléphone et en roumain.
Anca Ganciu est psychothérapeute. Spécialisée en psychanalyse familiale et de groupe, elle évoque le phénomène de la violence et du harcèlement dans les écoles roumaines…
Comment expliquez-vous la recrudescence de la violence dans les écoles du pays ?
La manière dont ce phénomène a évolué à partir des années 1980 jusqu’à aujourd’hui illustre les dynamiques à l’œuvre au sein de la famille roumaine sur la même période. Dans certaines familles, nous assistons à une défaillance de la contenance familiale. Ce manque de contenance se traduit par une protection insuffisante à l’égard de l’enfant qui se sent ainsi délaissé, d’où son hyper sensibilité. Cela le rend à la fois plus agressif mais aussi davantage vulnérable à la moindre forme d’agression. Dans d’autres familles, on observe au contraire une hyper protection de l’enfant, ce qui comporte là aussi des effets négatifs sur son évolution. Autre aspect caractéristique de notre époque : le moindre geste agressif est immédiatement qualifié de harcèlement, ce qui est exagéré. En naviguant sur Internet et les réseaux sociaux, les enfants eux-mêmes sont poussés à qualifier les autres d’agresseurs. Attention, je ne dis pas qu’il faille davantage tolérer la violence, bien au contraire, mais il faut rester objectif. De nos jours, les enfants sont de plus en plus intransigeants les uns envers les autres, surtout quand ils évoluent en groupe. Sur Internet, ils ont la possibilité d’intégrer très vite une communauté sans même la connaître, et d’émettre des opinions sous couvert d’anonymat. Dans la « Psychologie des foules », Gustave le Bon explique très bien la manière dont le groupe influence la psychologie individuelle et peut engendrer toujours plus de violence.
Comment l’école devrait-elle intervenir ?
Un premier pas serait de mettre en place des groupes d’experts qui gèrent les cas de violence. Il faudrait former des professeurs à cette fin, embaucher des conseillers ou des psychologues pour parler aux enfants de tous ces sujets, lesquels, ne l’oublions pas, sont très peu abordés en Roumanie. Je pense ici à la violence, à la sexualité, et aux dangers que peut représenter Internet. En France, il est fréquent de recourir à un jeu de rôles pour expliquer la violence aux enfants, en utilisant, par exemple, le fameux Triangle de Karpman formé d’une victime, d’un persécuteur et d’un sauveur. S’en inspirer fonctionne très bien dans la lutte contre le harcèlement. Par ailleurs, il y a encore un autre aspect à prendre en considération ; nous assistons à un appauvrissement et à une radicalisation du langage. Cela a pour conséquence, parmi d’autres, que les enfants utilisent souvent des mots très durs pour dénoncer le moindre geste agressif. Tout devient alors source de traumatisme. C’est là aussi un phénomène dont les adultes, professeurs ou conseillers, devraient davantage débattre en salle de classe.
Comment les parents peuvent-ils réfréner l’agressivité de leur enfant ?
Chaque famille devrait connaître son passif ou historique en termes de violence familiale. La violence et l’agressivité ont de grandes chances de se transmettre d’une génération à l’autre. Après, si les parents constatent que leur enfant est agressif, je leur conseille de consulter un psychologue et d’entamer une thérapie familiale. Travailler avec l’enfant seul ne suffit pas. Le spécialiste doit se faire une idée précise de la manière dont l’autorité fonctionne dans la famille en question. Autre chose, l’une des causes de la recrudescence de la violence chez les enfants est la vitesse des interactions à l’intérieur de nos sociétés. Nous n’avons plus la patience d’attendre, de réfléchir, de permettre à notre cerveau de se calmer, voire de décompresser. Cette tendance à l’action, tout le temps, nous rend très impulsifs. Cela fragilise particulièrement les plus jeunes. Dans des situations de tension psychologique, ils n’essaient plus de se calmer et sont souvent davantage enclins à être violents.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.