Alexander Nanau est le réalisateur du documentaire Colectiv dans lequel il suit pendant un an les enquêtes après l’incendie du club Colectiv en 2015, notamment menées par le journaliste Cătălin Tolotan – voir l’entretien avec Tolotan dans notre précédente édition. Le film a été récompensé par de nombreux prix, et il est sur la liste des possibles nominés aux Oscars dans deux catégories…
Selon vous, pourquoi votre documentaire a-t-il eu un tel impact, notamment au niveau international ?
Ces dernières années, les sociétés font face au danger de la montée des populismes et de gouvernants incompétents. C’est le mensonge et l’incompétence qui ont mené au drame du Colectiv. Je pense que le film a eu un impact surtout dans des pays comme les États-Unis, qui avaient un fou populiste comme président. Ceci dit, la peur que les sociétés dans lesquelles nous vivons ne soient plus fonctionnelles est commune. Et avec la pandémie, le film a eu un écho encore plus fort. Qu’il s’agisse de Colectiv ou de la crise sanitaire actuelle, on se rend compte à quel point une société a besoin de gens compétents et honnêtes au sein de son administration et de ses institutions publiques. Un autre apport important du film a été la réconciliation du public avec la presse. Le fait de voir comment un média fonctionne de l’intérieur a permis de recouvrer cette confiance de la part de la population. Après le film, les journalistes que nous avions suivis ont reçu une multitude de messages de lanceurs d’alerte.
Est-il difficile de parler du drame du Colectiv dans le cinéma ou dans l’art en général ?
On peut en parler librement, mais comme pour le Bataclan ou le 11 septembre, je n’ai pas vraiment vu de films sur ce genre de sujet. Ce sont des événements très violents pour une société, qui doivent d’abord être discutés et résolus par les autorités et les institutions publiques, et la presse. C’est d’ailleurs ce qu’on a voulu montrer dans le film, en suivant des journalistes et le ministre de la Santé. Je crois que le problème n’est pas qu’on ne puisse pas en parler, nous sommes dans un pays libre. Le vrai souci est que la justice ne fait pas son travail. Après cinq ans, il n’y a pas eu de condamnations définitives. Les dossiers sur les crimes et les mensonges qui ont eu lieu après l’incendie, notamment dans les hôpitaux, restent dans les tiroirs. Sans oublier que les autorités ont tenté d’empêcher que le film représente la Roumanie aux Oscars.
Le film est traduit en français par « l’Affaire collective ». Pourquoi serait-ce une affaire collective ?
Parce qu’une société fonctionne quand le collectif fonctionne. Si l’on accepte pendant des dizaines d’années de donner des pots-de-vin aux docteurs, si l’on accepte de ne pas dénoncer la corruption et qu’un club n’ait pas de sorties de secours, cela ne peut pas fonctionner correctement. Ces choses se passent suite à l’attitude d’une société tout entière. Le film aborde aussi la responsabilité de la presse. S’il existait une presse spécialisée et de qualité en Roumanie dans le domaine de la santé, les journalistes auraient tout de suite vu que les docteurs et le ministre de la Santé de l’époque – Nicolae Bănicioiu, ndlr – mentaient, notamment quand ils disaient que les hôpitaux roumains était au même niveau que ceux en Allemagne. La presse a propagé des mensonges sans ciller.
Propos recueillis par Marine Leduc.