Alberto Groșescu est photographe et vice-président d’ARCEN. Entre pression immobilière et risque sismique, cette association s’efforce de sensibiliser les habitants de Bucarest au patrimoine architectural de la ville…
À maintes reprises, ARCEN et d’autres associations ont constaté que la précédente administration municipale de la capitale a préféré détruire l’ancien pour le remplacer par du neuf. Aujourd’hui, avez-vous le sentiment qu’il existe un désir fort de préserver le patrimoine architectural de la ville ?
Plusieurs variables sont à prendre en compte. L’attitude envers le patrimoine architectural de la ville pourrait effectivement s’améliorer grâce à la nouvelle équipe qui s’est installée à la mairie. Après, il y a les intérêts immobiliers. L’administration publique au niveau local reste minée par la corruption, ou bien est trop permissive et ne cherche pas à trouver des compromis avec les cercles d’affaires. Au final, ce sont souvent les vieilles bâtisses qui en subissent les conséquences. Enfin, il y a l’attitude des citoyens. On le sait, il n’y a pas vraiment de prise de conscience concernant la valeur du patrimoine à Bucarest. Avec une société civile plus forte et plus attentive, les autorités n’oseraient plus détruire des immeubles de valeur. L’un des objectifs de notre association est précisément d’éduquer et de générer une prise de conscience. On a commencé ce travail il y a treize ans, des progrès ont été faits, mais c’est un processus de longue haleine. Aujourd’hui, si certaines choses nous font espérer, il est trop tôt pour dire si la situation est véritablement plus favorable.
Quelles sont les conclusions de vos recherches sur le risque sismique à Bucarest ?
Notre projet, qui s’intitule « Antiseismic District », est parti d’un petit noyau de notre communauté avant de s’élargir à des professionnels dans divers domaines. L’idée est surtout d’informer et d’éduquer les habitants les plus vulnérables de la ville en cas de tremblement de terre majeur. Avec nos partenaires, nous avons récolté de nombreuses données sur ces risques et nous développons des campagnes d’information auprès des citoyens les plus exposés. Continuer le dialogue à tous les niveaux est très important, d’une part pour une meilleure compréhension de la valeur patrimoniale des vieux bâtiments, et d’autre part pour alerter sur le risque que représentent ces mêmes immeubles, très fragiles. Il s’agit surtout du centre-ville, par exemple du boulevard Magheru, où il y a beaucoup de bâtiments construits dans les années 1930-1940. Jusqu’au tremblement de terre de 1977, les architectes et les constructeurs ne comprenaient pas vraiment le risque sismique, il n’y avait donc pas de réglementations strictes concernant la structure de résistance.
À cause de ce risque sismique mais aussi de la pression des promoteurs immobiliers, la capitale pourrait-elle se transformer en un ensemble de constructions sans âme ?
Cette transformation est malheureusement déjà visible. Il y a des zones dans la ville sans aucun repère architectural. Et il y en a d’autres qui sont en danger. Dans les quartiers où il n’y a pas de bâtiments classés « monuments historiques », les maisons qui mériteraient d’être protégées risquent la démolition. Avec ARCEN, on essaie de faire l’inventaire, et de voir si la mairie a un plan pour ces bâtiments ; mais jusqu’à présent, on n’a pas vraiment eu d’informations. Peu à peu, la ville risque effectivement de se transformer en un ensemble de constructions sans âme.
Propos recueillis par Matei Martin.
Note :
Pour plus d’informations sur Arcen, voir le lien suivant : https://www.arcen.info/