Adrian Nicolae Furtuna est un sociologue rom. Il termine une thèse sur la « Mémoire sociale de l’esclavage des Roms ». Quelle fut précisément leur histoire et ses conséquences ?
Pourquoi est-il important d’enseigner l’histoire de l’esclavage des Roms ? *
Il sera alors plus facile de comprendre les réalités culturelles, économiques et sociales que connaissent les Roms aujourd’hui. Depuis l’année dernière, au sein du manuel d’histoire des collèges, il existe enfin une étude de cas faisant référence à l’esclavage des Roms. Et son enseignement n’est plus optionnel, il est obligatoire. Ce serait encore mieux si l’esclavage était également introduit dans les cours sur le Moyen-Âge qui abordent les classes sociales, car les Roms se trouvaient au dernier rang des asservis. Ils étaient vendus, les familles étaient séparées, ils n’avaient aucun droit. Cependant, ils n’étaient pas passifs. Lorsque les premières lois pour leur émancipation ont été adoptées à partir de 1843, nombre d’entre eux ont intenté des procès contre leurs maîtres pour être libérés, d’autres fuyaient. Il y avait déjà plusieurs formes de résistance.
* Le 20 février dernier, la Roumanie commémorait 165 ans depuis l’abolition de l’esclavage des Roms (1856). Ces derniers furent esclaves pendant 500 ans dans les monastères, pour l’État et chez les boyards – aristocrates. Ndlr.
Quels sont les impacts visibles et invisibles de l’esclavage des Roms sur la mémoire collective ?
Le plus évident est l’utilisation du mot țigan en roumain, qui était assimilé à « esclave » jusqu’à l’abolition en 1856. À partir de cette année-là, les documents officiels n’utilisent plus le mot țigan, car c’est un terme péjoratif qui faisait référence à un « sous homme ». Sauf que dans l’imaginaire collectif et le langage courant, le terme n’a pas disparu. L’impact a aussi été culturel. La période post-esclavage célébrait l’avènement d’un « nouveau Roumain » émancipé. Cela a eu pour effet d’annihiler l’identité culturelle d’une grande partie des Roms qui ne voulaient plus être vus comme tels. Enfin, les conséquences ont été socio-économiques ; l’abolition a signifié la libération d’environ 200 000 individus qui se sont retrouvés sans activité. Quelques-uns seulement vivaient de l’artisanat, et une infime partie a reçu des lopins de terre lors de la réforme agraire de 1864. Mais la plupart des Roms sont devenus des mendiants, des marginaux, ils n’avaient aucune ressource, pas de terre, ni de toit. Ils ont alors vécu une période de dépendance, leur seule possibilité étant de travailler comme zilieri *. Encore aujourd’hui, certaines communautés sont toujours installées sur d’anciens campements d’esclaves, et ils travaillent comme zilieri dans les monastères, là où leurs ancêtres étaient esclaves.
* Travailleurs employés à la journée. Ndlr.
Pensez-vous que la société roumaine pourra un jour regarder en face et surmonter ce pan sombre de son histoire ?
Il s’agit d’une histoire commune qui doit être largement diffusée dans l’espace public afin d’être connue tant des Roms que des non Roms. Elle doit être assumée parce qu’on parle de ventes d’enfants, de séparation des familles et d’esclaves exploités pendant 500 ans. Toutefois, il ne faudrait pas que la population majoritaire pense que les Roms se complaisent dans la victimisation, ou que cette même population majoritaire soit accusée d’un passé historique dont elle n’est pas responsable. La transmission doit se faire d’une façon qui permette de mieux se comprendre, non pas de s’accuser les uns les autres. À mon sens, l’une des initiatives à mettre en œuvre serait notamment la création d’un musée national.
Propos recueillis par Marine Leduc.