La Roumanie s’apprête à alléger la fiscalité afin de stimuler la croissance, une mesure saluée par le patronat et les consommateurs. Plus prudents, les analystes mettent en garde contre le risque d’une explosion du déficit public, avec des conséquences négatives à long terme pour la stabilité du pays.
« Je suis satisfait qu’après avoir travaillé durement pendant trois ans, nous avons atteint un objectif important », a lancé début avril le Premier ministre Victor Ponta en annonçant la décision d’appliquer dès le 1er juin une baisse de 15 points de la TVA (Taxe sur la valeur ajoutée) sur les produits alimentaires et les boissons non alcoolisées, mesure phare du nouveau projet de code fiscal. S’élevant à 24%, sauf pour les médicaments et les produits de boulangerie où elle a déjà été abaissée à 9%, la TVA est aujourd’hui en Roumanie l’une des plus élevées de l’Union européenne.
Or, selon le gouvernement, ce taux freine la consommation et pèse sur le potentiel de croissance du pays. Le nouveau code fiscal, qui doit encore être approuvé par le Parlement, prévoit en outre une baisse de 4 points de la TVA – de 24% à 20% – à partir de janvier 2016, et à 18% en janvier 2018 pour les produits non alimentaires et les services. Pour la seule année 2016, cet allègement fiscal devrait générer une croissance supplémentaire de 1%, et se traduire par la création de 145 000 nouveaux emplois, d’après le gouvernement.
Des résultats qui devraient se reproduire les années suivantes, mais de façon plus progressive. L’embellie promise n’est toutefois pas sans coûts : la baisse de la TVA entraînera un manque à gagner de 11,6 milliards de lei (environ 2,6 milliards d’euros) pour le budget de l’Etat l’année prochaine. Mais selon les calculs du ministère des Finances, plus de la moitié de ce déficit sera compensée par des recettes supplémentaires provenant notamment d’une hausse de la consommation.
« Les coûts liés à la réduction de la TVA pour les produits alimentaires s’élèvent à 5 milliards de lei par an, c’est une mesure parfaitement faisable », a assuré Victor Ponta. Selon lui, les Roumains dépensent 32% de leurs revenus mensuels pour acheter des produits alimentaires, le taux le plus élevé parmi les 28 membres de l’UE. Une baisse de la TVA encouragera la consommation tout en limitant les dépenses, une opinion partagée par le patronat du secteur agroalimentaire. « Le marché noir des produits alimentaires en sera anéanti », s’est récemment félicité Sorin Minea, président de l’association des patrons du secteur Romalimenta, assurant que « du jour au lendemain, les prix baisseront de 15% ».
« La réduction de la TVA sur les produits alimentaires va certes aider les catégories les plus défavorisées. Mais en l’absence d’une amélioration substantielle de la collecte des taxes, le déficit budgétaire ne pourra être compensé que par la hausse d’autres taxes et impôts »
Des chiffres de l’Institut des statistiques montrent qu’un foyer dépense en moyenne 718 lei par mois (environ 163 euros) pour les denrées alimentaires. Si l’ensemble des commerçants réduisent la TVA de 15 points, ces dépenses mensuelles devraient baisser à 631 lei. Pour l’analyste Marin Pana, le tableau n’est cependant pas aussi positif : « La réduction de la TVA sur les produits alimentaires va certes aider les catégories les plus défavorisées. Mais en l’absence d’une amélioration substantielle de la collecte des taxes, le déficit budgétaire ne pourra être compensé que par la hausse d’autres taxes et impôts. »
Victor Ponta préfère lui indiquer que le budget de l’Etat a enregistré un surplus de 3,3 milliards de lei au cours des trois premiers mois de l’année par rapport aux prévisions, grâce notamment à une meilleure performance du fisc, ce qui permettra de couvrir le manque à gagner. De son côté, Ioana Petrescu, ancienne ministre des Finances et actuelle conseillère du Premier ministre, met en avant les résultats encourageants de la réduction de 24% à 9% de la TVA pour le pain et les produits de boulangerie mise en place en septembre 2013 : les prix ont baissé en moyenne de 10% et l’évasion fiscale dans le secteur a été réduite de 20%.
Quoi qu’il en soit, les arguments du gouvernement ne convainc pas Bruxelles. « Nous sommes inquiets de l’impact budgétaire que ces mesures vont provoquer », a déclaré début avril à Bucarest le commissaire européen pour l’euro et les politiques sociales Valdis Dombrovskis. Selon lui, la Roumanie n’a pas consulté la Commission européenne avant de lancer à l’eau le nouveau projet de code fiscal. « Généralement, nous nous attendons à ce que de telles modifications aient lieu dans le cadre de la procédure budgétaire annuelle », et non pas en milieu d’année, a-t-il insisté.
Même prudence de la part du Fonds monétaire international. La chef de mission pour la Roumanie, Andrea Schaechter, appelle à « reconsidérer » l’allègement prévu. « Il est prématuré de prendre une décision sur la base des résultats enregistrés sur deux mois seulement. Il faudra du temps pour que les mesures visant à équilibrer ces baisses de taxes produisent leurs effets », a-t-elle indiqué.
Le Conseil fiscal critique lui aussi le projet du gouvernement, soulignant le risque que ce texte « engendre de grands écarts, à long terme, par rapport aux cibles budgétaires » assumées par Bucarest. Le président du Conseil, Ionuţ Dumitru, estime que le déficit structurel pourrait atteindre 5,5% du PIB en 2019, un taux supérieur aux 3% prévus dans le Pacte de stabilité signé par les pays de l’UE. Un dépassement du déficit de 3% pourrait en outre faire dérailler le projet de Bucarest de rejoindre la zone euro en 2019, cette contrainte figurant parmi les critères de Maastricht pour les pays souhaitant adopter la monnaie unique.
« Trop de hâte nuit », avertit également l’économiste Daniel Dăianu, selon qui le gouvernement devrait attendre mi-2015 pour s’assurer que la tendance à la hausse des recettes publiques se maintient. En outre, ajoute-t-il, « un dilemme persiste : faut-il profiter des recettes supplémentaires pour réduire les taxes et les impôts ou pour allouer davantage de fonds à des secteurs clés comme la santé et l’éducation ? ».
Les pourboires touchés
En quête de recettes, le gouvernement est en passe de provoquer une petite révolution dans la restauration et les services. Un décret d’urgence entré en vigueur le 1er mai prévoit l’obligation pour les contribuables, personnes physiques ou morales, de déclarer les pourboires. Selon ce texte, si les sociétés concernées ne distribuent pas les pourboires aux employés, elles devront les déclarer comme « bénéfices », ce qui entraînera leur taxation à hauteur de 16%. Si les pourboires reviennent aux employés (serveurs ou autres), il appartiendra alors à ces derniers de les déclarer. Taxer les pourboires est déjà la règle dans de nombreux pays, mais la Roumanie franchit un pas de plus en contraignant les restaurants à remettre aux clients un reçu à part pour le bakshish. « Cette mesure est sans précédent en Europe », s’est insurgé le député européen libéral Cristian Buşoi. Nombre de restaurateurs ont pour leur part jugé cette décision « ridicule ». En France et ailleurs, des polémiques ont visé ces dernières années la question du partage des pourboires et leur montant, qui varie entre 15% et 20%. Aux Etats-Unis, où la plupart des serveurs ne perçoivent pas de salaire fixe, le pourboire représente leur rémunération principale.
Mihaela Rodina (mai 2015).