C’est la plaie de la plupart des pays en développement, en transition ou même dits « développés » : l’économie souterraine. Comment évolue-t-elle aujourd’hui en Roumanie ?
Selon un rapport de la société d’analyse et de conseil A.T. Kearney rendu public le 28 mai dernier, l’économie souterraine en Roumanie (travail au noir, activités mafieuses, transactions immobilières au noir, etc.) est estimé à 28,4% du Produit intérieur brut (PIB), soit environ 40 milliards d’euros (prévisions pour l’année 2013). La bonne nouvelle, c’est que par rapport à 2005, son poids a diminué de 3,8 points – la part de l’économie souterraine était alors de 32,2% du PIB. Parmi les pays ex-communistes d’Europe de l’est, la Roumanie se trouve à peu près au même niveau que l’Estonie (28% du PIB, estimation pour 2013, toujours selon A.T. Kearney), la Croatie (28%), ou bien la Lituanie (28%), et devant la Bulgarie (31%), mais loin derrière la Slovaquie (15%) et la République tchèque (16%).
Ce même rapport affirme que sur l’ensemble de l’Union européenne (UE), l’économie souterraine représente 18,5% du PIB de l’UE, avec, en championnes de l’efficacité, l’Autriche (8%) et les Pays-Bas (9%). Pas même la très rigoureuse Suisse n’arrive à endiguer totalement le phénomène (7% du PIB). Une chose est claire : plus l’économie dans son ensemble se porte mal, plus l’économie souterraine fleurit… En Italie, elle est estimée à 21% du PIB, en Espagne à 19%, idem au Portugal, tandis qu’en Grèce le pourcentage devrait atteindre 24% cette année.
« En période de déclin économique, à cause du chômage croissant, des revenus en baisse et des inquiétudes quant à l’avenir, bon nombre de personnes, employeurs ou employés, préfèrent s’orienter vers l’économie souterraine », déclarait Steve Perry, directeur commercial de Visa Europa, quelques jours avant la sortie du rapport de A.T. Kearney. A son tour, Gabriela Radu, inspectrice générale à l’Inspection du travail, expliquait dans un entretien accordé récemment à Radio Roumanie pourquoi les autorités avaient tant de mal à combattre le travail au noir : « C’est une entente entre l’employeur et l’employé. Et très souvent, ceux qui se dirigent vers ce type d’activités sont des habitués, ils restent « dans le noir », et ne quittent leur emploi que si leur patron ne paie pas le montant convenu. » Par ailleurs, il arrive souvent que seule une petite partie du salaire soit déclarée, suffisamment pour ne pas réveiller les soupçons.
Selon les experts qui ont étudié le cas de la Roumanie, le poids de l’économie souterraine est d’environ 39% dans le domaine manufacturier, 37% dans le commerce de détail, 33% dans la construction, 20% dans l’agriculture, et 9% dans l’hôtellerie et la restauration. Même dans le secteur de l’éducation, le travail au noir existe : pas moins de 15%. Quant aux transactions immobilières, environ 17% s’effectueraient de façon illégale.
« La Roumanie, à l’instar d’autres économies post-communistes, est comme une pyramide renversée, l’évasion fiscale est tellement présente qu’elle dépasse le budget de l’Etat », soutenait, l’année dernière, l’ambassadeur américain à Bucarest Mark Gitenstein. Dans son rapport pour l’année 2011, le Conseil fiscal affirmait de son côté que « si la Roumanie arrivait à collecter les impôts et les taxes au niveau maximal, les revenus du budget national seraient très proches de la moyenne européenne. Une réforme profonde dans la façon dont les taxes et les impôts sont collectés est absolument nécessaire. »
Néanmoins, les auteurs du rapport A.T. Kearney notent que certains effets de l’économie souterraine peuvent être jugés « positifs ». Par exemple, les travailleurs au noir proposent souvent des petits services moins onéreux que s’ils étaient déclarés (garde d’enfants, cours particuliers, prise en charge des personnes âgées…). Par ailleurs, l’argent au noir est de toute façon utilisé pour la consommation, participe à l’économie, et l’Etat en encaisse une partie sous forme de TVA. Certains diront que c’est mieux que rien, mais cette économie souterraine reste dommageable, notamment parce que le travailleur au noir n’a aucune couverture sociale.
Răsvan Roceanu (juillet 2013).